Cabossé de Benoît Philippon

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« Mec, pour toi, la vie va ressembler à un accouchement, ce sera étouffant, y aura du sang et des cris, et ta tronche aura rien à envier à une tomate écrasée aux rangers taille 46. Au moins, y a pas eu tromperie sur la marchandise. »

C’est sûr, Roy a pas eu de bol dans sa jeunesse. Naître à Clermont, se faire appeler Raymond, avoir une tronche à faire peur sur un corps colossal, faut reconnaître, ça partait plutôt mal. De l’amour, ses parents avaient pas ça en stock, mais il en a donné quand même, lui, à sa petite sœur Lou, jusqu’à ce que…

Il avait la gueule de l’emploi pour tous les boulots dégueulasses, alors il a fait déboucheur de chiottes, porteur de carcasses à Rungis et surtout récupérateur de thunes pour usuriers malchanceux. A grands coups de baffes de ses pognes immenses dans la trogne des réfractaires.

Puis surgit Guillemette, adorable fée minuscule, gracile luciole bien cabossée elle aussi, mais en-dedans seulement. Elle semble si fragile, Guillemette, que Roy réapprend à étreindre, à caresser, tout partout. Et quand on s’en prend à sa Belle, faut pas s’étonner de réveiller la Bête.

Résumé comme ça, le (premier) roman de Benoît Philippon pourrait sembler un rien glauque, un poil sinistre, un petit peu déjà lu. Je t’en fiche ! Cabossé, c’est tout le contraire du cafardeux et du fade. C’est de l’émotion, des émotions. Qui vous tombent dessus sans prévenir, au fil de la cavale des amoureux et des personnages qu’ils croisent. Y’a des gentils : un couple de gays entraîneurs de boxe, une pute au grand cœur, une petite fille abandonnée, une mémé flingueuse, une bibliothécaire futée. Et y’a des méchants, comme les homophobes, les chasseurs, les mecs qui tapent leur copine, les pères qui battent leurs enfants, ou Martinot : « y’en a, y naissent pour sauver des enfants malades en Afrique, Martinot il est juste là pour propager une sensation de maladie. »

Cabossé, c’est des dialogues à la Audiard, des échanges à la Blier, des montagnes russes de sentiments. Cabossé, c’est des ricanements, pour se cacher derrière, pour faire croire que cette larme qui pointe, c’est parce qu’on s’esclaffe. C’est sûrement pas parce qu’on est touché, hein ?

Cabossé / Benoît Philippon. Gallimard (Série noire), 2016

Défoncé de Mark Haskell Smith

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Miro Basinas aime les plantes. Bon, pas n’importe lesquelles. Génie de la botanique, il a réussi, à force de recherches et d’expérimentations, à fabriquer la meilleure weed de tous les temps, l’Elephant Crush. Son herbe est douce et sent la mangue. Avec elle, il gagne la Cannabis Cup d’Amsterdam. Son avenir s’annonce radieux. Il va pouvoir, de retour à LA,  alimenter le réseau de magasins dédiés à la vente légale de beuh pour raisons médicales.

Mais Miro est plus poète qu’homme d’affaires et n’avait pas mesuré les enjeux qui se cachent derrière ce commerce florissant. Les gangs avaient jusqu’alors la mainmise sur l’approvisionnement de toutes les drogues dans le coin et sont bien décidés à conserver ce monopole. S’ils peuvent, en plus, lui piquer son miracle de la nature… Et surtout, il n’avait pas compté sur Shamus Noriega pour contrecarrer ses plants.

Ode joyeusement irrévérencieuse à la louange du tabac qui fait rire, Défoncé est de ces romans rares qui se lisent en ricanant. Aucun temps mort, pas le temps de souffler, les feuilles se tournent au rythme infernal des embrouilles du gentil Miro. Les personnages secondaires sont dégommés avant qu’on ait le loisir de s’attacher, dans maintes circonstances rocambolesques. Heureusement, Shamus s’accroche. L’irlando-salvadorien, trop rouquin et teigneux pour intégrer un gang et qui a dû se constituer une troupe perso de bras cassés est tellement irrésistible de méchanceté qu’on regretterait qu’il disparaisse. Ses comparses, dont Titi le bien nommé parce qu’il arbore un survêt jaune poussin, lui permettent de bonnes répliques cinglantes, quand il n’en a pas après les flics du district, désabusés, accro aux tacos ou aux godes ceintures. Et un spécial big up au jeune mormon, désopilant à son corps défendant, qui arpente à vélo la cité du vice et se rend compte combien il est pénible de pédaler avec une bosse dans le pantalon.

Donc, jouissif, vous l’aurez compris. Doublé d’une critique acerbe et très fine d’un monde absurde où l’on gare le plus près possible son énorme bagnole de l’échoppe de produits bio et détox, où le crime est spectacle, où les flingues sont en vente libre alors que les joints non, et où il suffirait de légaliser le chichon pour stopper les trafics et avoir la paix.

Défoncé / Mark Haskell Smith. trad. de Julien Guérif. Rivages-noir, 2016

Rock & littérature : là où le rock rencontre les mots de Rafael Panza

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Si vous êtes des lecteurs assidus de New Noise, vous connaissez Rafael Panza pour lire régulièrement ses chroniques éclairées dans votre mag préféré. Vous le savez donc passionné de rock. Peut-être ignorez-vous que l’homme a des lettres et qu’il affectionne également la littérature. Si, c’est possible. Il ne se contente pas d’écouter de la musique amplifiée ou de lire des livres sans image, il analyse les rapports entre les deux. Et il le fait avec un soin universitaire, terme qui, je vous le rappelle, n’est pas synonyme d’ennui. Combien d’entre nous se sont entendu dire : « ça, c’est un roman rock », ou « ça, c’est un groupe intello » (sous entendu, qui sait lire) ? Eh bien, il ne suffit pas de le dire, encore faut-il le prouver. C’est ce à quoi s’attelle l’auteur, lors d’une démonstration dense mais claire, pointue mais abordable.

Voici quelques éléments d’une thèse difficile à résumer dans une chronique.

I : Le rock dans la littérature ou Qu’est-ce qu’un roman rock ? L’étude de romans emblématiques, Human Punk de John King, High Fidelity de Nick Hornby, Teen Spirit de Virginie Despentes ou Rue des martyrs de Patrick Eudeline, pour ne citer qu’eux, dévoile plusieurs points communs :

  • reprise de thèmes chers aux groupes de rock (la bande de potes et de musiciens, la critique de la société moderne, les addictions, le rêve d’un ailleurs),
  • mise en lumière de motifs rock (le rockeur/antihéros, le rock comme religion),
  • utilisation de morceaux rock comme moteur narratif (pour créer une ambiance, une émotion, coller à l’état d’esprit du héros),
  • création d’un style (emploi d’un langage vraisemblable au service d’un tempo fait d’alternances de différents rythmes, le tout mâtiné d’humour noir).

II : la littérature dans le rock ou En quoi un morceau, un album s’apparente-t-il à de la littérature ? Dylan, par exemple, avec « Like a Rolling Stone », se réapproprie un ensemble de structures littéraires et esthétiques de la Beat generation :

  • construction lexicale faite d’inversions et de métaphores,
  • apparition de personnages étranges,
  • mix de différents niveaux de langages.

Ces figures, associées à un ton particulier et une structure déséquilibrée donnent une idée de la chute sociale ainsi que l’envisageait Ginsberg.

Noir Désir, en développant, tel Rousseau, une mise en avant introspective et intime, en tendant au lyrisme par la musique, en citant dans ses paroles des auteurs tel Lautréamont, esthétise les poétiques romantiques comme le rejet de la société moderne, industrielle et capitaliste.

Pink Floyd et son concept album Animals, s’écarte de La ferme des animaux d’Orwell, jusqu’à créer une poétique originale, fondée sur des images sonores notamment.

Avec « Venus in Furs », adaptation de Léopold von Sacher-Masoch, Le Velvet fait revivre musicalement les caractéristiques du livre (on entend le plaisir dans la douleur, le malaise) mais les déterritorialise en les réimplantant dans un autre mode d’expression, la chanson rock. Nous ne sommes plus dans l’imitation mais dans la production personnelle.

Fichtre ! De quoi briller, entre deux bières, dans les concerts en ville ! Vous pouvez remercier Rafael Panza qui s’attaque à un sujet plus ardu qu’il n’y paraît et réussit l’exploit de ne pas jamais perdre le lecteur. Didactique sans se la péter prof, il répète, reformule, explicite si besoin et étaye son propos de nombreuses définitions et citations. De même que les oeuvres qu’il dissèque, il s’adresse à un public de connaisseurs, qui comprend les références, les clins d’oeil, un public curieux, intelligent, comme vous l’êtes, si vous lisez New Noise.

Rock & littérature : là où le rock rencontre les mots / Rafael Panza. Camion blanc, 2016

Chronique publiée dans New Noise n°34 – juillet-août 2016

Martyn Waites (english version)

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Among all the novels you have written, only two have been translated into French, Born under Punches and The White Room. You said about them that “these two books were the books you became a writer to write”. Why are they so special for you and different from the others?

Okay. There’s a few answers to this one. They’re actually the first books in French under my own name. I’ve also written a series of thrillers under the name Tania Carver, four of which were published by Ixelles Editions a few years ago. I don’t think the books caught on in France, very big in Germany, though. And they’re doing well in the UK. But yes, back to the stuff under my own name. I owe a great deal of thanks to the brilliant Cathi Unsworth for persuading Rivages to publish them.

I had written three crime novels set in Newcastle before them, all with Stephen Larkin in. With Born Under Punches I wanted to do something a bit more ambitious. Use the crime novel as a social novel but not in a worthy or dull way as is so often the case. I wanted to use it to explore the legacy of the miners’ strike in Britain, mostly in the north. It was such a pivotal event in our country’s history and I think that only now are we seeing the long term impact that Thatcher’s decisive, damaging and detrimental policies had. I still can’t think of her as a human being and when I do think of her all my old anger is still there. I wanted to channel that anger into something worthwhile, hence Born Under Punches.

The White Room came about because of two kind of obsessions of mine: T Dan Smith and Mary Bell. Smith was the leader of the Newcastle City Council, an allegedly committed socialist with hugely ambitious redevelopment plans for the North East of England. If his vision had happened as he originally intended it, it would have either been quite spectacular or all pulled down by now as an example of horrendous brutalist architecture. Unfortunately he allowed that vision to be diluted by easy options, mixing with criminals, back handers, illegal deals . . . everything. And the restructuring he did was really horrible. Most of it’s been pulled down now. Mary Bell was a child killer. When she was eleven she killed two small children just a few street from where I lived. I was the same age as the kids she killed. There was also another girl involved but her parents managed to keep her out of it and let Mary take the rap for both of them. Mary had had a tragic life up until that point. Her mother was an S&M prostitute and Mary was being sold to her punters from six months old. It was a huge case at the time and no one knew what to do with her. She was placed in a rehabilitative environment and now lives under an assumed name. I have an enormous amount of sympathy for her. The genesis of the book was realizing that Mary literally killed in the shadow of one of T Dam Smith’s awful towerblocks. To me that was such a strong image that I had to write the novel to fit round it.

A strange thing happened while I was writing The White Room, or rather several strange things. I’m not given to all that hippy shit bollocks about writers being channellers and all that, but there were some strange coincidences. I bumped into an old college friend in a traffic jam in central London and she told me all about how Dan Smith would come to tea when he was in a open prison and working on their community centre. I met a woman in an art gallery who had made a film about the life of Dan Smith. My oldest friend’s partner had just taken part in a political debate against Smith. And strangest of all, I started to have dreams that pieced together secret hidden histories of Newcastle, things I honestly didn’t know about until I subsequently went to research them. Weird.

You mix fiction with reality, and some of your characters, who have existed, had an impact on your own personal life. In The White Room, Dan Smith was an influential politician in Newcastle during the 60’s and your father used to work with him. Born under Punches relates the miners’ strike of 1984 and you said that it was the one event that politicized you, that it was a pivotal moment for both the country and yourself. Do you think that it is because the reader feels your implication that he is so touched by the stories you tell?

I’d like to think so. As a writer all you want to do is transfer your passion for a story over to the reader. Sometimes it doesn’t work and crashes and burns horribly. Stories that are personal to the writer can be so badly, self-indulgently handled that they end up touching no one. Although I wanted to put all the stuff in that was vitally important to me, I had to make sure that the characters were real and not just ciphers, that the plot was truly engaging and that the reader would be entertained while reading it. Angered, appalled, and enthralled, whatever. But I’m not a journalist, I’m a novelist.

To mix fiction and reality, fictitious persona and people who have really existed, stories set against a background of true events, in order to dissect England’s history… Did you want to expose Newcastle as Ellroy exposed LA, in a way?

That was the idea. Like Ellroy in LA and George Pelecanos in Washington DC. Reclaim the past and make it your own. Present the secret histories of our time. Unfortunately, especially in Britain, no one really cares about Newcastle or the north of England. Or at least not in the south, in London. I remember my agent at the time asking me, ‘Why should I care about the miners’ strike?’ and then telling me, ‘Well if you’re going to write about it, make it sexy.’ LA and Washington DC have a degree of exoticism by being in the States that Newcastle doesn’t. Those two books were a hard sell over here. I had/have others planned too but no one wanted them in Britain. I still want to write them though. And I will, when I get a chance.

You were born in 1963. What are your memories of the miners’ strike? Do you remember the young man you were at that time? Did you listen to a lot of music? Read a lot of books?

Absolutely. I think it was around that time that I was finding what I really loved. I’d just discovered Raymond Chandler and it was not so much like having the windows opened but having the side of the house blown off. And listening to LOTS of music. I particularly like the whole Paisley Underground thing that was happening in the States at that time, the Long Ryders, Green on Red, soundtrack for the era. And I remember the miners’ strike vividly. Especially what was happening locally with what was being reported on the TV. A huge disparity. That’s when I first realized that everything could be manipulated, even news, depending on who gained from it. I’ve got that anger now because it’s still going on now. Just look at our Tory government and what they’re trying to cover up. John Whittingdale, the culture and media secretary, has hidden his affair with an S&M prostitute (a lot of which was paid for through taxpayers money) and the media won’t touch it because he’s bought them off with promises of no regulation. David Cameron starves the poor even further while keeping his millions in off shore accounts. Disgusting. And this is all being disseminated through social media, not mainstream media channels, they won’t touch it until a critical mass builds and they can’t ignore it. I think if we’d had social media then Thatcher wouldn’t have been able to get away with what she did during the miners’ strike.

Sorry. Rant over.

In your two novels, you draw a very sad report of 50 years of politics in England. You depict the end of socialist and humanist utopias in the 50’s and the 60’s, through the fall of Dan Smith (whose dream of a new city, an egalitarian society, “a brave new future was destroyed before it had already been built”), who has finally been convicted of corruption. Do you think that betraying their ideals, politicians have killed the hope for a better world? Does power corrupt?

Unfortunately yes. Or rather not corrupt, as such, in most cases I think it just allows the user to become distanced from what they intended it was for in the first place. The majority of politicians are self-serving, only in it for the money and themselves. Or at least that’s how they end up, no matter how they start out, no matter how good their intentions are. The machinations of the machine take over.

Having said all that, I think that in post war Britain there was still a broad consensus between both parties when they were in power. They both seemed to accept that a kind of public-owned socialism worked alongside a responsible capitalism. Margaret Thatcher took her far right Tory fringe to the centre of the part in 1979 and began dismantling our country. Selling us back utilities we already owned, selling off council houses, creating not so much a working class but a Tory underclass.

Socially, politically, economically, how is England today? Does Thatcher’s politics in the 80’s still have an influence on people’s conditions of living, especially the poorest? Has the election of Tony Blair’s New Labour changed something? 

Thatcher changed everything. Blair just continued her work under the guise of being left wing. This government we have now, propagating the lie of austerity, is the worst government Britain has had, certainly in my lifetime. Even worse than Thatcher. More corrupt and much more incompetent. People are starving and dying as a direct result of this government’s policies.

What do you think of the organization of the referendum about staying or not in the EU?

I’m firmly pro. Definitely, absolutely. The EU is a flawed organization, no doubt, but it’s worth sticking with. And the only ones in this country who want to leave are all on the far right. Why would I want to be allied with them?

About your characters, most of them have grown up in a very violent social and family background. And they use violence on weaker than they are. Did you want to show the influence of the environment on personalities?

Definitely. I think we’re all products of hereditary and environment. Again, in everything I write I try to remain true to people as they are and present them as they would be if put up against the situations and circumstances of the novels given their hereditary and environment. I can’t stand fiction that presents characters as having been somehow formed in a vacuum. They’re either good or bad and there’s no in-between. Boring. Dull. Lazy. And those type of writers, if they present a bad character, or someone who does villainous deeds, then they’re presented as some kind of folk monster, not created by the good people here, something or someone we can’t imagine being doing horrific things. It’s like they want the villagers to hunt them with flaming pitchforks. I hate that kind of writing. It’s giving glib, lazy answers to where the monsters among us come from. No. Any monsters in our society are created by us. Actions have consequences. Always. Any writer, who doesn’t show that, especially a crime writer presenting what they claim is a true picture of society, doesn’t deserve to be read.

Jack Smeaton and Stephen Larkin stay true to their principles, they keep their ethics. So it is possible. No one is born evil but everyone has to fight to be a good person?

Yeah. Exactly that. John Lennon said, ‘We’re all Christ and we’re all Hitler.’ Absolutely right. It’s a daily struggle to make sure the right person emerges. And yes, it’s often easier to get rid of your principles and take the east route but I’m always fighting to make sure that doesn’t happen. I suspect most people are too.

Some scenes of your books are so terrible. I think of moments when Monica or Mae as little girls are being raped by men, members of their family, sold, beaten, almost killed. You have a very special way of writing these scenes. You don’t describe the violence but its consequences afterwards. You let the reader fill in the blanks. Do you use ellipsis because it was too hard for you to write details about such horrors, or because horror is worse when it is only suggested and not described?

Thank you. When I came to approach those scenes I was torn between being honest to what was actually happening and presenting that as such, and coming across as gratuitous and sensationalist. But then again, i didn’t want to show that these things hadn’t happened, and hadn’t had the most traumatic of effects. I eventually decided on an approach that I saw as shutting a door on the action itself, hearing screams from behind that door and focusing on the reaction of a character on the other side of the door. And of course, as you say, showing the consequences afterwards. People come up to me and tell me about the terrible things I described in The White Room and when I ask them which part, they realize it’s all been in their head and I never described anything. I just suggested it and showed the aftermath. But that doesn’t mean I didn’t think about it and go through what happened in those scenes in real detail. I did. And it affected me so much that it took a lot to get over it afterwards, probably more than I’m willing to admit.

Your plots are very complex. The lives of your characters are interlinked. You use a lot of flashbacks. But it is easy for the reader to follow the story. Do you make a very detailed outline before you begin the writing?

Well, I used to. Make a huge plan and pin it up on my corkboard and try to follow it rigidly. But then I found it was taking its own turns, and things I’d imagined at the planning stage weren’t fitting in with how the book was going. And then in Born Under Punches one character kept forcing his way into more and more scenes and I kept wondering why. Eventually I realized he was one of the central characters and the whole of the novel orbited around. After that I became a bit freer with the plotting. Now I usually write about a quarter of the novel, using the characters as a kind of audition. If I like their voices, if they’re interesting, then I keep using them. If they’re not working I drop them. Or kill them, even. I also find that if I plan to rigidly it always takes longer in the working out and then needs re-plotting. I think now I just try to trust the process. At the start of a novel these characters may seem disparate and unconnected, but I know that through the course of the narrative their connections will become apparent.

Music plays an important role in your books. You gave each novel the title of a song. Born under Punches is a song of The Talking Heads and The White Room a song of Cream. How do you choose them? At what moment? Do they influence the stories?

Yeah. As I mention elsewhere here, I do love my music. And I can bore on about it at great length. My first novel, back in 1997, was called ‘Mary’s Prayer’. A song by a band called Danny Wilson from the Eighties. It fitted somehow. Then the follow up, ‘Little Triggers’, was named after an Elvis Costello track. And it went on from there. I thought it would be my thing, song titles as book titles. And that continued until the fourth Joe Donovan novel, ’Speak No Evil’. (Cocteau Twins, in case anyone was wondering. Changed by the publisher from my first choice, ‘Murdered Sons’, a Lydia Lunch track). Then came the Tanias and I fancied a change. But even then, the third Tania Novel is based on a line in a Warren Zevon song. Cage of Bones  is the name of the book. ‘Excitable Boy’ is the Zevon song.

I do think they influence the novels, though, the titles. I find it hard to get started on a book, to really envision it, without a title. I know some writers who can just call it ‘Untitled Novel #14’ or whatever, but I can’t do that. I need a title to see where I’m going. And because I thought song titles were my thing, I spent a long time trying to find the right title for the right novel. I had to make sure they were the right ones, that they reflected and enhanced the story, that they became a signifier to a reader, and that they weren’t just something slapped on.

In a passage of Born under Punches, Larkin is upset because he has spent the night listening to his old albums (Lloyd Cole, Costello, The Talking Heads, The Smiths). The music has woken up memories and ghosts and it hurts him. Is music an important part of your life? Do you often listen to old albums you loved? Does it hurt? 

Yeah, that part was possibly a bit over-indulgent on my part . . . but yes, I’m always listening to music, old and new. Some that I like discovering (old and new) and some stuff that means a lot to me. Tom Waits is probably my all time hero. Sometimes I’ll listen to old stuff and feel sad that I’m not that age any more and never will be again. Any hurt comes from that. The depth of any hurt depends on how much I’ve been drinking at the time… But I also like moving forward. I hate that attitude people have about not listening to current music, that somehow music was better when they were younger, or that use that hated phrase ‘my era’. No, music wasn’t better when you were younger you were just younger and your self-defiing memories were being formed. And this is still ‘my era’ and always will be until they nail the coffin lid down. I’m listening to music as I write this. Sixties Southern soul. Stax Records. A huge passion of mine. It was either that or the new albums by Richmond Fontaine and M Ward. I’ll play them next. Or the Santiago 77 album. Love that.  Or Midlake. Or…

Do you use music as a means to describe your characters’ personalities? As a means to talk about the period?

Absolutely. It’s a great short cut in a narrative to showing character or setting an atmosphere or an era. I know writers come in for a bit of criticism for this, especially male ones, because not everyone knows the music or gets the references. And it can look just like that boy’s thing of making lists. I try never to fall into that trap. It’s not a new thing, though. Cornell Woolrich was doing it in the Thirties.

Your novels are dark but, as you said, “not without a redemptive ending. Because there has to be redemption. Otherwise what’s the point? » So, are you an incorrigible optimist? And, above all, as love is part of your “happy endings”, incorrigibly romantic?

God no! Well, not an optimist, certainly. I’d like to think I am, or that some part of me is, otherwise, as I said, what’s the point? But when I look at the news, at the actions of our government, at what corporations are doing to our planet, the Trump circus in the US, I despair. I’m not an optimist but I am a fighter. As for being a romantic… you’d have to ask my girlfriend that!

Can you tell us who is Tania Carver?

My female alter ego… A few years ago now, I was asked by my publisher if I could write a thriller under a female pseudonym. Actually, it was like he bet me I couldn’t do it. I came up with The Surrogate and Tania Carver was born. As I said earlier four of those books were published in France and there are eight in total. It’s been interesting writing as someone else, especially a woman, but I’m ready to be Martyn again now.

You have written a book, unfortunately not yet translated into French, with three others authors, Mark Billingham, David Quantick, Stav Sherez, called Great Lost Albums. The presentation of the book says: « From the 60s to the 00s, with track listings and full histories, Great Lost Albums reveals the recordings that—just perhaps—never existed, but really should have done.”  Which band have you chosen to talk to? Why? Was it fun?

Enormous fun. The best fun I’ve ever had writing. The other three are just about the best bunch of people you could want to work with. Great friends, great writers. We didn’t actually talk to any artists, mainly for fear they would try and put an injunction up against us. As it was there was some stuff (usually mine, I have to say) that we couldn’t get past the lawyers. We just holed ourselves up in a hotel in Hastings on the south coast for the weekend and came up with it. I don’t think I’ve ever laughed so much in my life. It wasn’t a massive hit but it should have been. It’s the funniest book ever written (I reckon).

Interview published in New Noise n°34 – july-august 2016

Martyn Waites

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Deux romans pour raconter, de l’immédiat après-guerre au début des années 2000, cinquante ans de l’histoire de l’Angleterre, ou L’inexorable et profonde dégradation des conditions de vie d’une classe laborieuse qui s’obstine à bouger encore. Services publics, NHS, emplois, allocs, industrie : une chute sans fin. Dans Né sous les coups, Martyn Waites décrivait, de 1984 à 2001, la grève des mineurs, la répression de Thatcher, l’abattage du prolo, le déclin des syndicats, à Coldwell, ville du nord imaginaire, cité moribonde vidée de ses mines pourtant rentables. Dans La chambre blanche, il situe l’action de 1946 à 1974, à Newcastle, et détaille la fin des utopies socialistes, la corruption des politiques. Dur. La casse sociale n’entraîne pas le meilleur chez l’homme. Il faut bien vivre. Tant pis, si pour cela, il faut dealer, cogner, tuer, trahir sa classe. Aucun espoir ? Aucune possibilité de rester intègre, fidèle à ses idéaux ? Si ! Chez Waites, une faible lueur scintille dans le noir. La petite flamme de la lutte résiste. 
Parmi tous les romans que tu as écrits, onze en tout, deux seulement ont été traduits en français, Né sous les coups et La chambre blanche. De ces deux romans, tu as dit qu’ils étaient ceux qui justifiaient que tu deviennes écrivain. En quoi sont-ils si particuliers à tes yeux et différents des autres ?

En fait, ils sont les premiers traduits en français sous mon propre nom. J’ai aussi écrit des thrillers sous le pseudonyme de Tania Carver, et quatre d’entre ont été traduits chez Ixelles Editions il y a quelques années. Mais je ne pense pas qu’ils aient cartonné en France, contrairement à l’Allemagne, ou au Royaume Uni. Pour en revenir à ces deux romans précis, je remercie vivement la brillante Cathi Unsworth pour avoir persuadé Rivages de les publier. J’avais écrit trois romans policiers situés à Newcastle avant ça, tous avec le personnage de Stephen Larkin. Avec Né sous les coups, je voulais faire quelque chose de plus ambitieux, utiliser l’angle du roman policier pour faire un roman social, mais pas de façon ennuyeuse ou laborieuse comme c’est si souvent le cas. Je voulais explorer ce que la grève des mineurs avait laissé en Grande-Bretagne, surtout dans le nord. Ça a été un événement si déterminant dans l’histoire de notre pays et c’est seulement maintenant qu’on se rend compte à quel point la politique de Thatcher a eu un impact préjudiciable et néfaste sur le long terme. Je ne peux toujours pas la considérer comme un être humain, et quand je pense à elle toute mon ancienne rage refait surface. Je voulais canaliser cette rage pour en faire quelque chose d’utile.

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La chambre blanche est né de deux de mes obsessions : T Dan Smith et Mary Bell. Smith a été maire de Newcastle, un prétendu socialiste, avec des projets de réaménagement du nord est de l’Angleterre extrêmement ambitieux. Si son projet s’était mis en place comme il l’entendait, cela aurait donné soit quelque chose de tout à fait spectaculaire, soit ça serait à présent considéré comme le symbole épouvantable de l’architecture brutaliste. Malheureusement, il a laissé son projet s’affadir en optant pour des solutions de facilité, il s’est compromis avec des criminels, des pots de vin, des transactions illégales… la totale. Et la restructuration architecturale à laquelle il a abouti était vraiment horrible. La plupart de ces réalisations ont été démolies maintenant. Mary Bell était une tueuse d’enfants. Quand elle avait onze ans, elle a tué deux petits gosses à quelques rues de là où je vivais. J’avais le même âge que ces gosses. Il y a eu une autre fille mise en cause, mais ses parents ont réussi à la tenir à l’écart, et Mary Bell a porté le chapeau pour les deux. Mary avait eu une vie tragique jusqu’à ce drame. Sa mère était une prostituée SM et Mary avait été vendue à ses clients depuis ses six mois. L’affaire a fait l’objet d’un grand procès à l’époque et personne ne savait quoi faire d’elle. Elle a été placée dans un centre de réadaptation et vit maintenant sous un nom d’emprunt. J’éprouve une immense empathie pour elle. La genèse du livre réside dans ma prise de conscience que Mary avait tué, littéralement, dans l’ombre de l’une de ces affreuses tours de T Dan Smith. Cette image était si forte qu’il m’a fallu écrire ce roman dans lequel elle s’intégrait.

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Il s’est passé un truc bizarre alors que j’écrivais La chambre blanche, plusieurs trucs bizarres même. Je n’ai aucun penchant pour toutes ces foutaises hippy comme quoi les écrivains seraient des médiums, mais il y a eu d’étranges coïncidences. Je suis tombé sur une vieille copine de fac pendant un embouteillage dans le centre de Londres et elle m’a raconté que Dan Smith venait prendre le thé dans leur centre social, où il travaillait, alors qu’il était en semi-liberté. J’ai rencontré une femme dans une galerie d’art qui avait fait un film sur la vie de Dan Smith. L’associé de mon plus vieil ami venait de prendre part à un débat politique contre Smith. Et le plus étrange, j’ai commencé à faire des rêves qui reconstituaient des pans secrets de l’histoire de Newcastle, des anecdotes qu’honnêtement je ne connaissais pas jusqu’à ce que je fasse des recherches dessus par la suite. Bizarre.

Tu mêles fiction et réalité, et certains de tes personnages, qui ont existé, ont eu un impact sur ta propre vie. Dans La chambre blanche, Dan Smith était un homme politique influent à Newcastle dans les 60’s et ton père a travaillé avec lui. Né sous les coups raconte la grève des mineurs de 1984, et tu dis que c’est l’événement qui t’a fait t’intéresser à la politique, que ça a été un tournant autant pour le pays que pour toi. Crois-tu que c’est parce que le lecteur sent ton implication qu’il est touché par les histoires que tu racontes ?

J’aimerais le croire. En tant qu’auteur, tout ce que tu désires, c’est transmettre ta passion pour une histoire au lecteur. Des fois, ça ne marche pas, tu te plantes lamentablement. Les histoires qui sont personnelles à l’auteur peuvent être traitées de façon si complaisante qu’elles finissent par ne toucher personne. Même si j’ai eu la tentation de mettre dans mon récit tout ce qui était vital à mes yeux, j’ai dû m’assurer que les personnages avaient de la substance, n’étaient pas que des données, que l’intrigue était vraiment prenante et que le lecteur serait diverti en lisant. Ou énervé, ou consterné, ou captivé. Je ne suis pas journaliste, je suis écrivain.

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Mélanger fiction et réalité, des personnages fictifs et d’autres qui ont vraiment existé, le tout situé sur un arrière-plan impliquant des faits réels, afin de disséquer l’Histoire de l’Angleterre… Souhaitais-tu exposer Newcastle comme Ellroy a exposé LA ?

C’était l’idée. Comme Ellroy à LA et George Pelecanos à Washington DC. Récupérer le passé et le faire sien. Présenter les secrets de notre temps. Malheureusement, surtout en Grande-Bretagne, personne ne se préoccupe vraiment de Newcastle et du nord de l’Angleterre. En tous cas, personne au sud, à Londres. Je me souviens de mon agent de l’époque qui me disait : « Pourquoi devrais-je me soucier de la grève des mineurs ? » et il ajoutait : « Bon, si tu écris là-dessus, fais en sorte que ça soit sexy ». LA et Washington DC ont un côté exotique du fait d’être aux USA, que Newcastle n’a pas. Ces deux livres ont été durs à faire accepter ici. J’avais/j’ai prévu d’autres livres de ce type, mais personne n’en a voulu en Grande-Bretagne. Je veux toujours les écrire, pourtant. Et je le ferai, dès que j’en aurai l’occasion.

Tu es né en 1963. Quels souvenirs gardes-tu de la grève des mineurs ? Te souviens-tu du jeune homme que tu étais ? Lisais-tu beaucoup ? Ecoutais-tu beaucoup de musique ?

Absolument. C’est à peu près à cette période que j’ai trouvé ce que j’aimais vraiment. Je venais juste de découvrir Raymond Chandler. Ça ne m’a pas seulement ouvert des horizons, ça a carrément explosé tous les murs. Et j’écoutais BEAUCOUP de musique. J’adorais particulièrement les groupes de Paisley Underground qui existaient aux USA à l’époque, the Long Ryders, Green on Red, la bande son de la période. Et je me souviens très précisément de la grève des mineurs. Surtout de ce qui se passait localement et comment s’était relayé à la télé. Le grand écart. C’est la première fois que j’ai réalisé que tout pouvait être manipulé, même les infos, que cela dépendait de qui avait à y gagner. Je suis toujours en colère aujourd’hui, parce que cet état de fait continue. Il suffit de regarder notre gouvernement conservateur et ce qu’il tente de dissimuler. John Whittingdale, secrétaire d’état à la culture et aux medias, a caché sa relation avec une prostituée SM, qu’il entretenait en partie avec des deniers publics. Les médias n’en diront rien parce qu’il les a achetés avec des promesses de libéralisation. David Cameron affame un peu plus le peuple en plaçant ses millions sur des comptes off shore. A gerber. Tout ça a été diffusé sur les médias sociaux et pas sur les grandes chaînes généralistes. Elles n’en parlent que lorsque ça atteint un seuil critique et qu’elles ne peuvent pas faire autrement. Je suis sûr que si les médias sociaux avaient existé à l’époque, Thatcher n’aurait pas pu s’en tirer considérant tout ce qu’elle a fait pendant la grève des mineurs. Pardon, je m’énerve.

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Dans tes deux romans, tu dresses en triste bilan de cinquante ans de politique en Angleterre. Tu décris la fin des utopies humaniste et socialiste dans les 50’s et 60’s, à travers la chute de Dan Smith (dont le rêve d’une cité nouvelle, d’une société égalitaire, « a été anéanti avant même d’avoir vu le jour »), qui a finalement été convaincu de corruption. Penses-tu qu’en trahissant leurs idéaux, les politiciens ont tué l’espoir d’un monde meilleur ? Est-ce que le pouvoir corrompt ?

Malheureusement, oui. En tout cas, ça conduit les détenteurs du pouvoir à prendre de la distance par rapport à leur projet initial. La plupart des politiciens sont intéressés, ils sont là pour l’argent et leur petite personne. Quoiqu’il en soit, c’est comme ça qu’ils finissent, peu importe comment ils ont commencé et même s’ils avaient de bonnes intentions au départ. Les manigances du système prennent le dessus. Néanmoins, dans la Grande Bretagne d’après-guerre, il y avait encore un large consensus entre les deux partis au pouvoir. Ils semblaient s’entendre sur le fait qu’un socialisme d’état s’accordait avec un capitalisme responsable. Margaret Thatcher a amené la frange la plus droitière des conservateurs au centre du pouvoir en 1979 et a commencé à démanteler notre pays. En nous revendant des services publics qui nous appartenaient déjà, en bradant les logements sociaux, en créant pas tant une classe laborieuse qu’une sous-classe conservatrice.

Socialement, politiquement, économiquement, comment se porte l’Angleterre aujourd’hui ? La politique de Thatcher dans les 80’s a-t-elle encore une influence sur les conditions de vie des gens, notamment les plus pauvres ? L’élection du New Labour de Tony Blair a-t-elle changé quelque chose ?

Thatcher a tout changé. Blair a simplement poursuivi son œuvre en prétendant être de gauche. Notre gouvernement actuel, qui propage le concept fallacieux de l’austérité, est le pire qu’on n’ait jamais eu, certainement depuis que je suis né. Encore pire que Thatcher. Plus corrompu et encore plus incompétent. Les gens crèvent la dalle et crèvent tout court à cause de la politique de ce gouvernement.

Que penses-tu de l’organisation du prochain référendum. La Grande-Bretagne doit-elle rester dans l’Union Européenne ou la quitter ?

Je suis résolument pour. Définitivement. Absolument. L’UE est une organisation imparfaite, aucun doute là-dessus, mais ça vaut le coup de rester ensemble. Et dans ce pays, ceux qui veulent la quitter sont tous d’extrême droite. Pourquoi je voudrais m’allier avec eux ?

« Nous créons nos monstres. Les actes ont des conséquences. Toujours. Tout auteur qui ne montre pas ça, surtout un auteur de roman policier qui prétend présenter une image fidèle de la société, ne mérite pas d’être lu. »

En ce qui concerne tes personnages, la plupart ont grandi dans un environnement social et familial très violent. Et ils font preuve de violence envers les plus faibles qu’eux. Voulais-tu montrer l’influence du milieu sur les personnalités ?

Je pense que nous sommes les produits de notre environnement et de notre hérédité. Encore une fois, dans tout ce que j’écris j’essaie de rester fidèle aux gens tels qu’ils sont et de les présenter tels qu’ils réagiraient s’ils étaient confrontés aux circonstances et situations décrites dans les romans en fonction de leur hérédité et de leur environnement. J’ai horreur des fictions qui présentent des personnages comme s’ils venaient de nulle part. Ils sont soit bons soit mauvais, il n’y a pas d’entre-deux. C’est assommant. Terne. Facile. Ce genre d’écrivains, s’ils décrivent un sale type ou un personnage qui accomplit de mauvaises actions, ils le présentent comme une sorte de monstre folklorique, surtout pas engendré par les bonnes gens du coin dont on n’imagine pas qu’ils puissent faire des choses horribles. C’est comme s’ils voulaient que les villageois les chassent avec des fourches enflammées. Je hais ce genre d’écrit. Ça donne une réponse facile à la question de savoir d’où viennent les monstres parmi nous. Stop. Nous créons nos monstres. Les actes ont des conséquences. Toujours. Tout auteur qui ne montre pas ça, surtout un auteur de roman policier qui prétend présenter une image fidèle de la société, ne mérite pas d’être lu.

Jack Smeaton et Stephen Larkin restent fidèles à leurs principes. Ils conservent leur étique. Donc, c’est possible. Personne ne naît mauvais mais chacun doit se battre pour être quelqu’un de bien ?

Yeah. C’est exactement ça. John Lennon disait : «  Nous sommes tous le Christ et nous sommes tous Hitler ». Il avait parfaitement raison. S’assurer qu’émerge le meilleur de nous est un combat quotidien. Et oui, c’est souvent plus commode de se débarrasser de ses principes et de céder à la facilité, mais je me bats constamment pour m’assurer que ça ne m’arrive pas. Comme la plupart des gens, je suppose.

Certaines scènes de tes romans sont vraiment horribles. Je pense aux passages où Monica et Mae, alors qu’elles sont toute petites, sont violées par des hommes, notamment des membres de leur famille. Elles sont battues, vendues, presque tuées. Tu as une façon très particulière d’écrire ces scènes. Tu ne décris pas la violence mais ses conséquences. Tu laisses le lecteur remplir les blancs. Utilises-tu l’ellipse parce que c’était trop difficile pour toi de détailler de telles horreurs, ou parce que l’horreur est pire si elle est suggérée et non décrite ?

Merci. Au moment d’aborder ces scènes, j’ai été déchiré entre être honnête avec ce qu’il se passait réellement et le présenter comme tel, et la peur de donner l’impression que je tombais dans le sensationnalisme et le gratuit. Mais, là encore, je ne voulais pas laisser entendre que ces choses n’avaient pas eu lieu et qu’elles n’avaient pas eu les plus traumatisants des effets. Je me suis finalement décidé pour une approche qui a consisté à fermer la porte sur l’action en elle-même, laisser entendre les cris provenant de derrière cette porte et me concentrer sur la réaction du personnage de l’autre côté de la porte. Et, bien sûr, à montrer les conséquences. Les gens viennent me voir et me parlent des choses horribles que j’ai décrites dans La chambre blanche. Quand je leur demande de quelles scènes il s’agit, ils réalisent que tout s’est passé dans leur tête et que je n’ai jamais rien décrit. J’ai simplement suggéré et montré les conséquences. Mais ça ne signifie pas que je n’y ai pas pensé et que je ne me suis pas immergé dans ces scènes en détail. Et ça m’a tellement touché que j’ai mis longtemps à m’en remettre par la suite, probablement plus que je ne veux bien l’admettre.

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Tes intrigues sont très complexes. Les vies de tes personnages sont intimement liées. Tu utilises beaucoup de flashbacks. Néanmoins, tes histoires sont faciles à suivre. Fais-tu un plan très détaillé avant de commencer à écrire ? 

Je faisais comme ça avant. Je traçais un vaste plan que j’épinglais sur un panneau et je m’efforçais de le suivre à la lettre. Puis, il se mettait à suivre sa propre voie. Des trucs que j’avais imaginés au moment de l’élaboration du plan ne convenaient pas à la façon dont le livre évoluait. Dans Né sous les coups, un des personnages persistait à s’immiscer dans de plus en plus de scènes et je n’arrêtais pas de me demander pourquoi. J’ai finalement réalisé qu’il était l’un des personnages principaux et que l’ensemble du roman s’articulait autour de lui. Après ça, je me suis quelque peu libéré des plans. Maintenant, j’écris environ un quart du roman, au cours duquel j’auditionne les personnages, en quelque sorte. Si j’aime leur voix, s’ils sont intéressants, alors je les garde. S’ils ne fonctionnent pas, alors je les laisse tomber. Ou je les tue. Je me suis également rendu compte que si je faisais un plan trop détaillé, la rédaction me prenait toujours plus de temps, et qu’il me fallait le refaire. Je crois qu’à présent j’essaie simplement de faire confiance au processus d’écriture. Au début d’un roman, les personnages peuvent paraître disparates et sans lien, mais je sais qu’au cours de la narration, leurs connections deviendront évidentes.

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La musique occupe une place importante dans tes romans. Tu as donné à chacun d’eux le nom d’une chanson. Né sous les coups (« Born under Punches ») est un titre des Talking Heads et La chambre blanche (« The White Room ») un morceau de Cream. Comment les choisis-tu ? A quel moment ? Influencent-ils l’histoire ?

Yeah. Comme je le dis partout, j’adore ma musique. Je peux barber le monde pendant des heures avec ça. Mon premier roman, qui date de 1997, s’appelait « Mary’s Prayer », un morceau de Danny Wilson, un groupe des 80’s. Ça collait plutôt bien. Le suivant, « Little Triggers », portait le titre d’un morceau d’Elvis Costello. Et j’ai continué. Je me suis dit que ça serait mon truc, donner à mes romans des noms de titres de chansons. Ça a duré jusqu’au quatrième roman avec Joe Donovan comme héros, intitulé « Speak No Evil » d’après une chanson des Cocteau Twins. Mon premier choix était « Murdered Sons », d’après Lydia Lunch et le titre a été changé par mon éditeur. Puis je me suis mis à écrire des romans sous le nom de Tania et j’ai eu envie de changer. Mais même là, le troisième roman de Tania est choisi d’après un vers d’un morceau de Warren Zevon. Il s’appelle Cage of Bones, tiré de la chanson « Excitable Boy » de Zenon. Je suis persuadé que les titres ont une influence sur les romans. Je trouve ça très dur de commencer un livre, de réellement l’imaginer, sans en avoir le titre. Je connais des auteurs qui appellent leur roman Sans titre n°14 ou autre, moi j’en suis incapable. J’ai besoin d’un titre pour savoir où je vais. Et comme je pense que les titres de chansons sont mon truc, j’ai passé un temps infini à essayer de trouver le bon titre pour le bon roman. Je devais m’assurer qu’ils correspondaient bien, qu’ils reflétaient et renforçaient l’histoire, qu’ils disaient quelque chose au lecteur, qu’ils n’étaient pas seulement un machin plaqué à la va-vite.

« Je déteste l’attitude des gens qui n’écoutent jamais de musique actuelle, qui considèrent que la musique était meilleure quand ils étaient jeunes, et l’utilisation de la cette formule détestable, « mon époque ». Non, la musique n’était pas meilleure quand vous étiez plus jeune, vous étiez juste plus jeune. »

Dans un passage de Né sous les coups, Larkin est bouleversé parce qu’il a passé la nuit à écouter de vieux albums (Lloyd Cole, Costello, les Talking Heads, les Smiths). La musique a réveillé des souvenirs et des fantômes, et ça lui fait mal. Ecoutes-tu souvent de vieux albums que tu as aimés et est-ce que ça fait mal ?

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Ce passage était probablement un peu complaisant de ma part… mais oui, j’écoute tout le temps de la musique, ancienne ou nouvelle. J’aime faire des découvertes (des trucs récents ou non) et réécouter des albums qui comptent beaucoup pour moi. Tom Waits est sans doute mon plus grand héros de tous les temps. Des fois, je vais écouter des vieux trucs et ça me rend triste, parce que je n’ai plus l’âge que j’avais et que je ne l’aurai plus jamais. Ma souffrance vient toujours de là. Et l’intensité de ma souffrance dépend de combien j’ai bu… Mais j’aime aussi aller de l’avant. Je déteste l’attitude des gens qui n’écoutent jamais de musique actuelle, qui considèrent que la musique était meilleure quand ils étaient jeunes, et l’utilisation de la cette formule détestable, « mon époque ». Non, la musique n’était pas meilleure quand vous étiez plus jeune, vous étiez juste plus jeune. L’époque actuelle continue à être « mon époque », et elle le sera toujours jusqu’à ce qu’on ferme mon cercueil. Je suis en train d’écouter de la musique en ce moment même. De la Southern soul des 60’s. Stax Records. Une de mes grandes passions. C’était ça ou les derniers albums de Richmond Fontaine ou de M. Ward. Je les écouterai ensuite. Ou l’album de Santiago 77. J’adore. Ou Midlake. Ou…

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Te sers-tu de la musique pour décrire la personnalité de tes personnages ? Pour décrire l’époque ?

C’est un raccourci fantastique dans la narration pour définir une personnalité, planter un décor ou parler d’une époque. Je sais que des auteurs, masculins principalement, essuient des critiques pour ça, parce que tout le monde ne connaît pas la musique qu’ils citent, ne saisit pas les références. Ça peut ressembler à ce truc de mec qui consiste à faire des listes. J’essaie de ne jamais tomber dans ce piège. Mais le procédé n’est pas nouveau. Cornell Woolrich l’utilisait déjà dans les années trente.

Tes romans sont sombres, mais comme tu l’as dit toi-même, « pas sans rédemption à la fin. Il faut qu’il y ait une rédemption. Sinon, à quoi ça sert ? ». Tu serais donc foncièrement optimiste ? Et surtout, comme l’amour fait partie de tes happy ends, tu serais très fleur bleue ?

Bon Dieu, non ! Enfin, pas optimiste, ça c’est sûr. J’aimerais croire que je le suis, et une part de moi l’est, sinon, comme je l’ai dit, à quoi bon ? Mais, quand je regarde les infos, quand je vois ce que fait notre gouvernement, ce que les entreprises font subir à notre planète, le cirque de Trump aux US, je désespère. Je ne suis pas un optimiste, mais je suis un combattant. Quant à savoir si je suis fleur bleue… c’est à ma copine qu’il faudrait demander ça !

Peux-tu nous en dire plus sur Tania Carver ?

Mon alter ego féminin…Il y a quelques années, mon éditeur m’a demandé si je pouvais écrire un thriller sous un pseudo féminin. En fait, c’était comme s’il pariait que j’en étais incapable. Je me suis pointé avec The Surrogate, et Tania Carver était née. Comme je te l’ai dit, quatre de ses romans ont été publiés en France et il y en a huit au total. Ça a été intéressant d’écrire en étant quelqu’un d’autre, surtout une femme. Mais je suis prêt à être de nouveau Martyn à présent.

Tu as participé à un livre, malheureusement pas encore traduit en français, avec trois autres auteurs, Mark Billingham, David Quantick, Stav Sherez, qui s’appelle Great Lost Albums, et qui parle d’albums non enregistrés de groupes connus. Le bouquin est présenté ainsi : « Des 60’s aux années 2000, avec listes de morceaux et anecdotes, Great Lost Albums révèle des enregistrements qui – peut-être – n’ont jamais eu lieu, mais auraient vraiment dû. » Vous y présentez les Ikea Sessions de Coldpaly, la période Théâtre musical de Joy Division, l’album de noël de Kraftwerk, précipitamment effacé, contenant le mélancolique « I wish to return this item ». Vous avez dû vous marrer…

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On s’est bidonnés. J’ai jamais autant ri en écrivant quelque chose. Les trois autres sont les personnes avec lesquelles tu rêves le plus de bosser. De grands amis, de grands auteurs. On s’est bien gardés de rentrer en contact avec aucun des artistes, principalement par crainte qu’ils déposent une injonction contre nous. Il faut reconnaître qu’on n’aurait pas pu se passer d’avocats avec certaines trouvailles (souvent les miennes, j’avoue). On s’est planqués dans un hôtel à Hastings sur la côte sud pendant un week-end, et ça a donné ça. Je ne crois pas avoir jamais autant ri de toute ma vie. Ça n’a pas eu un succès d’enfer, mais ça aurait dû. C’est le livre le plus drôle jamais écrit, (je trouve).

Site de Martyn

Interview publiée dans New Noise n°34 –  juillet-aôut 2016