Mon best of 2018 pour New Noise

ALBUMS

1 Idles – Joy as an Act of Resistance

2 Turnstile – Time & Space

3 Cloud Nothings – Last Building Burning

4 It It Anita – Laurent

5 Moaning – S/T

6 Rendez Vous – Superior State

7 Cabbage – Nihilistic Glamour Shots

8 Big Ups – Two Parts Together

9 J.C. Satàn – Centaur Desire

10 Superchunk – What a Time to Be Alive

CONCERTS

1 PiL (Electric ballroom, Londres)

2 Sleaford Mods (Rock School Barbey, Bordeaux)

3 Escobar (El Doggo, Limoges)

FILM

How to Talk to Girls at Parties

LIVRE 

Débâcle (Lize Spit)

ChériBibi n°10

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ChériBibi n°10.

Déjà plus de dix ans (hé oui, un numéro par an, en gros) que ChériBibi, la revue qui a le double et paradoxal mérite de te faire sécréter des endorphines tout en émoustillant tes neurones, se décarcasse pour te faire lire des trucs intelligents sur des sujets trop souvent méprisés, des sujets qui t’intéressent, toi, digne représentant du peuple. Soit plaisir et érudition ! Musique, littérature, cinéma, sport (et tout le reste)… ces allumés se passionnent pour la culture populaire.

La quoi ? La culture POPULAIRE. Celle de niches qui font aboyer les adeptes du bon goût, celle dont l’élite se gausse et qui n’est pas la culture de masse, celle que les joyeux excités de ChériBibi honorent de la sorte : « Polar dévoré dans le métro, pochoir croisé sur la route du boulot, groupe punky reggae du petit dernier ou souvenirs de bal musette transmis par une grand-mère ouvrière, la culture populaire prend les formes les plus variées. Encore faut-il la remarquer, la promouvoir et la diffuser. Il apparaît donc nécessaire de lui rendre justice, qu’elle soit contemporaine ou d’un autre siècle, tombée dans l’oubli ou au mieux reléguée au second plan par les historiens…»

Bref du bizarre et des distingués, des freaks et du grand ordinaire, du cul, du culte, sous l’œil bienveillant et la plume virevoltante d’enflammés du bulbe. Dans le n°10, (avec en cadeau des belles lunettes qui te feront voir la vie et l’étrange créature du lac noir en relief), un dossier sur les suffragettes anglaises adeptes du ju-jitsu, des interviews (de James Bond girls, de GJ Arnaud, des Stiff Little Fingers…), une nouvelle inédite du King (John, pas l’autre), j’en passe et des meilleures. On s’amuse, on pleure, on rit. Merci qui ? Merci ChériBibi !

http://www.cheribibi.net/

Chronique publiée dans New Noise n°45 – septembre-octobre 2018

Duplicata de Franco Mannara

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Suite à une vague d’attentats ayant frappé la capitale, la sécurité est devenue la préoccupation majeure des Français et le gouvernement s’est empressé de répondre à l’angoisse en mettant en place l’élimination pure et simple des délinquants les plus dangereux. Le Monodrome, merveilleuse invention proposée (et vendue) par une société privée, est une boîte permettant une exécution individuelle sans douleur et sans éclaboussure. Seuls quelques opposants se révoltent contre la réintroduction de la peine de mort. Dont Brach, orateur capable de mobiliser les foules. Lors d’un meeting, il est assassiné en direct, tandis que les caméras tournent et que Yésus Rose, célèbre lanceur d’alerte, filme le tribun pour son site Synchro-city. L’image du meurtrier est captée à l’infini. Sosie parfait de Yésus, qui va devoir tenter de se disculper aux yeux du monde et comprendre qui cherche à le piéger…

La scène d’ouverture est atroce, le lecteur, dès lors, est prévenu. Mannara va s’emparer de nos craintes les plus profondes, gratter nos plaies et décliner les menaces qui nous guettent dans un roman d’anticipation, très noir, politique forcément. Dans Duplicata, le pire est à venir, et comme l’auteur installe sa dystopie dans un Paris parfaitement reconnaissable, dans un futur très proche, ça fait flipper grave.

Collusion entre politique, police et fric, corruption, propagande, loi martiale, état d’urgence, libertés individuelles amputées… le pouvoir totalitaire se donne les moyens d’ériger une dictature, en douceur, sans que les honnêtes citoyens n’y voient rien à redire. Une épidémie de peste ayant surgi de nulle part et ravageant le 18ème, il est normal de boucler le quartier, peu importe que les pauvres y crèvent sans assistance, « on s’habitue à tout » et il est normal qu’on implante une puce en guise de vaccin à la population parisienne, consentante ou pas.

Très vite, on enjambe les cadavres et on ne compte plus les morts, au fil des investigations de Yésus, héros malgré lui, entouré d’une bande de hackers justiciers. L’enquête est menée la pédale bloquée sur l’accélérateur. Mannara, complètement porté par ses personnages, bien pourris ou solaires, enchaîne les pirouettes et retombe toujours sur ses pieds. Et si l’on s’embarque dans cette histoire, c’est aussi parce qu’il a su y mettre ce qu’il faut de lumière et éviter la lourdeur d’un récit didactique. Les forces obscures sont à l’œuvre, décidées à mater ceux qui se mettent sur leur route vers plus d’argent et de pouvoir, aidées en cela par les dernières découvertes technologiques. Tout est perdu ? C’est sans compter les grains de sable dans cette belle mécanique, ces humains qui résistent, continuent d’espérer, d’aimer, de rêver demain. Fluctuat nec mergitur. Hommage à la Goutte d’or et à un Paris à genoux qui lutte pour se relever, ne capitule pas, la capitale porte haut sa devise sous la plume de Franco Mannara. Echo, une des héroïnes de l’ombre l’affirme : « Au final, il n’y a que deux alternatives : l’amour ou la peur ». Choisis ton camp, camarade.

Duplicata / Franco Mannara. Calmann-Lévy, 2018

Chronique publiée dans New Noise n°45 -septembre-octobre 2018

Mauvaises graines de Lindsay Hunter

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Perry et Baby Girl sont inséparables. Elles partagent tout, les bancs du lycée, les virées nocturnes à bord de voitures volées, un goût immodéré pour la picole, une forte propension à se fourrer dans les embrouilles, la haine du monde, dans un environnement si terne qu’il faut bien se créer des occasions de faire la fête, de s’oublier. Faut dire que l’avenir semble bien bouché. Perry vit dans un mobil home et ne peut guère compter sur Myra, sa mère, pour prendre soin d’elle, vu qu’elle a déjà du mal à rester consciente entre deux cuites. Quant à Baby Girl, elle veille sur son grand frère, autrefois son héros, aujourd’hui quasi légume suite à un accident de voiture. Elles sont amies à la vie à la mort, solidaires, chacune prête à tout pour défendre l’autre. Jusqu’à ce qu’un événement inattendu leur fasse prendre conscience de leurs différences.

Attachantes, agaçantes, les deux filles paumées dont Lindsay Hunter dresse le portrait sont parfaitement convaincantes dans leur rôle de rebelles en carton, en proie au doute. Surtout, l’auteur parvient à décrire avec une grande finesse leur psychologie, les difficultés sociales qu’elles subissent et la relation qui les lie. Perry et Baby Girl sont fondamentalement opposées. Perry est un ange blond qui plait aux hommes, elle le sait et en joue, au risque de se brûler les ailes. Baby Girl se sait laide et se rase le crâne pour encore s’enlaidir, affirmer sa personnalité, agressive en dehors, désespérée en dedans. Elles sont unies dans un genre de relation un brin toxique, un rien contrainte, parce que quand on a cet âge, il n’y a rien de pire qu’être seul.

Leur amitié durera le temps qu’elles grandissent un peu, passent le cap, ensemble, de l’adolescence, fusionnelles simplement parce que leur besoin d’amour et de reconnaissance est immense. Mauvaises graines, bâti sur des dialogues pertinents, des chapitres courts et rythmés, livre de belles réflexions intimes. Il touche, trouble car il sonne juste.

Mauvaises graines / Lindsay Hunter. trad. de Samuel Todd. Gallimard (Série noire), 2018

Slaughterhouse Prayer. John King (english version)

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John King has been a vegetarian/vegan since the beginning of the 80’s. He decided not to eat meat long before the current interest of the food industry in this trend. The choice was not, for him, a healthier way to eat but was the result of a deep awareness. To be a vegan means living an ethical life, based on a moral code. On a subject he cares so much about, a project he has been thinking about for ten years, he could not fail. And he has succeeded in writing a monumental work of art. Slaughterhouse Prayer is much more than a brilliant advocacy of veganism. It is not a militant book, in the dogmatic sense of the word. John King is far too clever just to make a final judgement on his fellow men. He is not a know-it-all. He does not try to guilt trip his reader, which would be counterproductive. He does not preach. Slaughterhouse Prayer is not (only) for convinced ones, it talks to everybody. King lets people make their own way, do their soul-searching. And it really hurts. He moves you through fiction, in a sensitive, dreadful novel you will need time to process. You are going to be sincerely upset, profoundly messed up, totally overwhelmed.

The novel tells the story of the main character, Michael Tanner, at three different stages of his existence, in a non linear narrative, made of flashbacks and memories mixed with moments of Michael’s present life, as he is now a mature man. So, three Michaels relay the story, and the spot is tense until the end. Little boy Michael, during a visit at his grand-father’s in the country, understands that animals are killed to be eaten, that sausages are made of dead flesh. And they are not only killed. They are humiliated, insulted, raped, tortured. And nobody cares because they are only animals and have no consciousness, feel no pain, don’t think, have no emotions or memories. As a young man, Michael becomes a radical animal rights activist and questions the justification of violence towards men in order to protect the non-human animals. Later, Michael, calmed down but still not eased, splits up with his world. Will he find peace at last?

To make you feel, that’s John King’s whole talent. First, he enables his reader to understand the permanent aggression you suffer when you are a vegan in a meat-eater environment. The ads, the smells, the leather, everything reminds you the horrors the others refuse to see. And these horrors, King describes them in unbearable passages where animals, a pig, a lamb, a bull become Peter, Mary or John. They tell what they endure; they share their fears and pains. These scenes are terrifying because King translates their thoughts simply, from their point of view. He demonstrates there all his writing skill, as he examines by the way our use of language. When we call a man a smelly pig or a woman a dirty cow, we show our contempt towards beings we don’t only kill but also humiliate.

I am not a vegan, even not a vegetarian. I am one of those who look away. I am one of these hypocrites who put up with this awful lie. So, Yes John, I feel like shit. But thank you for not judging me as a person, for having allowed me to read Slaughterhouse Prayer without excluding me, for giving me a chance to become better. Thank you for this sentence: « but these were his brothers and sisters and he needed to believe that his species was weak rather than evil. They were big babies, overgrown kids building snowmen and adding carrot noses. He needed to belong. He didn’t want to be alone. » Thank you for your love of humankind, after all, for your sweet pages on its gardens, pubs, music and books.

The future is unwritten, but it will be vegan one day, for sure.

Slaughterhouse Prayer / John King. London Books, 2018