John King et Irvine Welsh

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Irvine Welsh, Alan Warner, John King. Quand, au milieu des 90’s, la Grande-Bretagne a vu débarouler sur les étals des libraires les romans de ces trois-là, elle a bien dû se rendre à l’évidence, il y avait quelque chose de changé dans le royaume. Ces auteurs allaient se faire une place, à grands coups de pompe dans le cul des pisse-vinaigre, dans le paysage littéraire, et leurs tableaux ne seraient pas des Gainsborough. Les critiques bon teint ont tenté de repousser l’assaut, ignorant superbement ou éreintant ces oeuvres so shocking, qui donnaient la parole et le beau rôle aux toxicos, aux hooligans, aux filles délurées, aux prolos, aux chômeurs, à tous les rebuts ravis de survivre d’allocs. Le public ne s’y est pas trompé, Trainspotting (1993), Morvern Callar (1995) et The Football Factory (1996) ont été des succès immédiats et durables, de même que les films tirés des romans. Les critiques ne se sont pas relevés de leur gueule de bois, Warner, Welsh et King sont toujours là, not so young but still angry, et ils ne lâchent rien. King vient de publier son neuvième roman The Slaughterhouse Prayer, et son Football Factory vient d’être réédité au Diable Vauvert. Le coup du siècle de Welsh vient de paraître en septembre, toujours au Diable Vauvert. Et Our Ladies, le film dont la sortie est imminente, tiré des Sopranos de Warner, fera date. Ils sont réunis pour la première fois, non pas autour d’une pinte, mais dans un recueil de trois novellas, The Seal Club.
Dans Those Darker Sayings d’Alan Warner, l’histoire se passe en Ecosse, aux débuts des 90’s, à l’époque où internet n’avait pas encore bouleversé nos vies. L’informatique était balbutiante et l’homme pouvait encore vaincre la machine, en tous cas ce qu’on en percevait dans ses applications quotidiennes. Pete, le narrateur, travaille aux chemins de fer non encore privatisés. Il est contacté par des collègues pour faire partie d’une organisation secrète, constituée de quatre membres, dirigé par un certain John Robert Slorach. Ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient répondre aux sept cents questions de culture générale de Thirst For Knowledge, jeux d’argent installés dans les pubs de tout le pays. Les questions sont toujours les mêmes et s’il faut les mémoriser, il y a une belle cagnotte à se partager. Le pactole grossit, jusqu’au jour où les machines sont remplacées par une nouvelle génération, impossible à battre. Hilarant au début, Those Darker Sayings sombre dans la tragédie pure, à mesure que l’ancien monde est en train de disparaître.
Dans The Providers d’Irvine Welsh, c’est Noël chez les Begbie. Elspeth, assistée de son mari Greg s’apprête à recevoir la visite de ses deux frères Frank et Joe. Elle n’est pas tranquille. Avec eux, tout finit toujours mal et ils ne se sont pas vus depuis des années. Frank est sorti de prison après sa longue peine, et Joe, alcoolo, trempe toujours dans les embrouilles. Elle le fait pour Val, leur mère, malade, qui n’en a plus pour longtemps. Rassembler la famille, en huis clos, il faut être sacrément optimiste pour penser que la soirée se terminera dans l’harmonie et la sérénité. Le lecteur, connaissant Begbie et ce dont il est capable, se doute que la catastrophe est possible et se délecte déjà de la tournure aventureuse que peuvent prendre les choses. Très vite, La tension grimpe et pas seulement à cause de Frank. Devenu artiste, il a changé. Il ne boit plus, il est amoureux, il va se marier et part s’installer en Californie. De quoi rendre Elspeth folle de jalousie. Et voilà que Joe se pointe, complètement bourré, tandis que Val ne tarit pas d’éloges sur ses fainéants de fils ! Les réflexions fusent, puis les insinuations, les reproches, les vacheries d’enfance, les insultes, jusqu’aux secrets de famille, déballés devant tout le monde. C’est drôle et méchant. Welsh apporte une nouvelle pièce à sa sage écossaise, dévoile un pan du voile, non sans surprendre, du passé qui a fait de Begbie, notre héros préféré, ce qu’il est.
Dans The Beasts Of Brussels de John King, on est à Bruxelles. Demain, un match verra s’affronter l’Angleterre et la Belgique. Matt, Pat, Darren, Stan, en bons hooligans, ne pouvaient rater ça. Le foot, c’est bien, la castagne aussi. Dès les premières lignes, on est dedans. Tandis qu’une horde de Turcs s’acharne sur Pat, Robert Marsh les observe. Depuis un pub cossu où il s’est réfugié, il bande à la vue de ce type à terre, ce rejet de l’humanité qui fait honte à son pays. Lui, en européen convaincu, libéral et profiteur, hait ces types violents, vulgaires. Et puis, il y a Chris Bradley, qui prend des photos et vendra un bon prix des images de la scène retouchées, figeant Matt dans une posture guerrière, à l’attaque, une bête assoiffée de sang, sans foi ni loi. King multiplie les points de vue, change de narrateur, permettant tour à tour de se mettre dans la tête des différents protagonistes. Camaraderie, sexe, picole sont bien présents, chez les technocrates ou arrivistes plein aux as, ou chez les prolos anglais qui débarquent avec leurs grosses Docs. Mais la brutalité n’est pas là où on l’attend, et les bêtes se vêtent parfois de beaux atours pour tromper leur monde.

Trois histoires très différentes, donc. John King et Irvine Welsh nous en parlent, et de la vie qui va.

John King 2 NB photo : Bruno Picat
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Photo : Steve Double
John, c’est toi qui a dirigé la publication de The Seal Club chez London Books, ta maison d’édition. D’où est venue cette idée de rassembler ces trois romans courts dans un recueil ?

C’est Irvine qui l’a suggérée dans un pub appelé The Ship à Soho, dans le centre de Londres. On avait vaguement évoqué le fait de faire quelque chose ensemble par le passé, mais c’est lors de cette rencontre précise que l’idée s’est véritablement concrétisée. C’est un bel aboutissement dans la mesure où ma première rencontre avec Irvine avait eu lieu dans ce même pub, au milieu des années 90, et que l’une des premières fois où j’ai partagé quelques verres avec Alan, ça s’était déroulé également dans ce pub.

Est-ce toi qui a trouvé le titre ? Peux-tu nous expliquer ce que The Seal Club veut vraiment dire ? (Seal signifie un sceau ou un phoque, et Club peut désigner une association ou un gourdin)

Le titre peut être interprété de différentes façons. Le mieux, c’est que les gens lisent le livre et étudient le texte, examinent tous les niveaux de lecture, envisagent les multiples possibilités, et qu’ensuite, après un moment de réflexion, décident de sa signification. On a juré de garder le secret à ce sujet, sinon on gâcherait l’effet de surprise. The Seal Club, c’est aussi bien un état d’esprit que n’importe quoi d’autre. Nos lèvres sont donc scellées. Scellées d’un baiser.

C’est la première fois que je lis un de tes textes qui soit aussi court. Y a-t-il des différences entre écrire un roman, une novella et une nouvelle ?

Il y a assurément des différences et ça a été une expérience enrichissante. Est-ce qu’une novella est un roman court ? Est-ce une longue nouvelle ? Je me suis posé la question. J’ai décidé que ce n’était ni l’un ni l’autre, qu’une novella était quelque chose à part. Ce n’est qu’une fois que j’ai rejeté l’option la plus commune selon laquelle ça devait être une longue nouvelle que j’ai été capable de finir The Beasts. J’ai suivi plusieurs fils conducteurs, fait intervenir une variété de voix, utilisé divers styles, pour atteindre l’intensité que permet justement cette forme, cette structure narrative. Plus expansive qu’une nouvelle, écrite de façon plus concise qu’un roman. L’expérience a été très positive. J’avais deux autres novellas sur le feu, à moitié rédigées. Je vais être capable de les terminer maintenant.

Pour ceux qui connaissent bien ton oeuvre, The Beasts Of Brussels peut être vue comme un condensé de ta faculté à trouver une voix à des personnages très différents. Les mots de Robert Marsh, l’eurocrate, sont très éloignés de ceux qu’utilisent Matt ou Pat, les supporters de foot. Comment parviens-tu à spécifier leurs différences façons de s’exprimer ? Certains discours sont-ils trompeurs ?

Le langage de Robert Marsh est le reflet de son milieu et de son attitude. Il dit une chose et en fait une autre. Ce type ne raconte que des conneries. C’est un hypocrite dont les mots ne reflètent pas les actes. Marsh et son pote Chris Bradley peuvent bien palabrer, balancer des opinions politiques différentes, ils agissent de la même façon. Nos classes politiques, médiatiques, et soi-disant créatives sont pleines de ce type de gens. Des carriéristes au service de leurs propres intérêts. Plus généralement, c’est très drôle de jouer avec les différences de langage et de style, et je le fais aussi avec Matt, Pat et Tommy. J’espère que ça aide à définir leurs personnalités et leur état d’esprit. ça rend aussi les choses plus intéressantes pour moi en tant qu’auteur.

On suit successivement Matt, Pat, Darren, Tom. Chacun exprime ses points de vue, raconte quelques souvenirs. Chacun possède une voix propre, a un passé, a vécu des moments joyeux ou des drames. Voulais-tu les personnifier en tant qu’individus, alors qu’ils sont toujours présentés comme un tout, une meute ?

C’est un plus autant qu’un but. Chacun a une histoire. Chacun est un individu. En tant qu’auteur, tu choisis quels personnages tu vas explorer plus en profondeur, ce qui va fonctionner pour construire l’histoire dans son ensemble et comment ça équilibre ou vient contrarier d’autres personnages et intrigues. Nous menons des vies différentes, nous avons des opinions qui divergent parfois avec celles de nos amis. C’est sain. On n’a pas à penser tous la même chose. On parle beaucoup de diversité ces temps-ci, mais il semblerait que la diversité de pensée s’amenuise, en grande partie, selon moi, à cause d’internet et à cause de l’agressivité présente sur les réseaux sociaux.

Irvine, les femmes sont-elles les Providers du titre ? (les soutiens de famille. Le terme est ambigu car il peut signifier aussi les fournisseurs). Dans ton oeuvre, les personnages principaux sont souvent des hommes et ils occupent le devant de la scène. Considères-tu que les femmes sont plus fiables, responsables ?

Oui. Les hommes ont été responsables de plein de bonnes choses pour le développement de l’humanité mais notre utilité est tout simplement arrivée à son terme et on se contente maintenant de juste tout faire foirer. c’est nécessaire de merder pour grandir mais on persiste à faire les mêmes erreurs encore et encore. En plus de faire peser une menace sur la survivance de notre espèce, ça devient franchement lassant. Tout ce que les hommes « éclairés » sont capables d’imaginer comme solution, c’est de nous transformer en robots. Si l’humanité a encore un avenir, il sera féminin.

Begbie est sur le point de quitter Edimbourg. Il est censé avoir changé. Il ne boit plus, il est canon et il est en train de devenir un artiste célèbre. Il laisse derrière lui ses mauvaises habitudes et fréquentations comme si la ville avait une influence néfaste sur lui. Quels sont tes sentiments envers Edimbourg ? Peux-tu passer longtemps loin de ta ville natale ?

Je suis revenu à Edimbourg depuis le Covid après une longue absence. J’y retourne régulièrement pour écrire et voir ma famille et mes amis. Je puise mon inspiration dans les quartiers nord et Leith en tout premier lieu, mais la vivacité d’esprit et le style des prolos d’Edimbourg m’inspirent en général. J’adore cette ville, mais le monde est vaste et j’ai toujours aspiré à m’y immerger autant que possible. La ville est à nous, mais la planète aussi.

« Inviter Frank et Joe pour Noël, quelle putain d’erreur ça a été. » Dès le début de The Providers, le décor est planté. Les lecteurs qui entendent parler de Frank pour la première fois, et bien sûr ceux qui connaissent déjà Begbie, comprennent immédiatement que sa soeur Elspeth a raison, c’était une putain de mauvaise idée. L’atmosphère est tendue. On s’attend à ce que ça explose à tout moment. Est-ce jouissif de creuser l’ambiguité de Begbie, de jouer avec les nerfs de tes lecteurs et de partager une telle complicité avec tes fans ?

Begbie est un taré. Il est donc fondamentalement dissocié de sa propre violence. Le truc génial avec lui, c’est qu’il est imprévisible. Ces types de personnages sont très excitants à coucher sur le papier en tant qu’auteur. Et en tant que lecteur, ils sont irrésistibles.

L’ambiance est d’autant plus tendue que tout se déroule en huis clos. Personne ne peut s’échapper. Tout se passe dans une seule pièce. C’est comme si on assistait en direct à un drame familial. Le lecteur est dans la position du voyeur qui voit et entend des secrets. As-tu conçu ce texte comme une pièce de théâtre qui pourrait être jouée sur scène ?

Ce texte a une drôle d’histoire. Je l’ai conçu au départ comme une possible performance pour un théâtre de boîte noire (dans le théâtre expérimental, un théâtre de boîte noire est un petit lieu, souvent peint en noir, permettant des représentations plus intimes et favorisant l’interaction avec le public) pour ensuite le réécrire dans une forme plus courte que The Providers pour The Big Issue (un journal de rue vendu par et pour les SDF), et finalement le développer en une vraie pièce de théâtre. Forcément, avec le Covid, plus rien ne se passe en matière de théâtre. J’ai donc repris mon texte pour en livrer une version plus longue pour The Seal Club.

On vit une période terrible en ce moment, avec la pandémie de Covid, avec les masques, les couvre-feu et les confinements. Les bars, les stades, les salles de concert sont fermés. Cela affecte-t-il votre façon d’écrire ? Cela libère-t-il ou musèle-t-il votre imagination ?

John : En un sens, ça n’a pas changé ma façon d’écrire, dans la mesure où je m’impose mes propres confinements pour pleinement me concentrer, même s’ils ne durent pas plus d’un mois au maximum. Cependant, la pandémie nuit quand même à ma concentration, car, comme tout le monde, face à ces infos mon esprit s’emballe, et que ce qui est en train de se passer me fait penser à des choses à propos desquelles j’ai écrit par le passé, que ce soit dans White Trash où je parlais du système de santé, ou dans Slaughterhouse Prayer, où je me posais la question de l’origine des virus. En termes d’imagination, ça m’a ramené vers The Liberal Politics Of Adolf Hitler, alimentant d’idées le projet que j’ai d’en faire une suite située dans le futur. Il y a une tempête dans mon crâne, où ces trois romans ne cessent de tournoyer, même si j’essaie de me concentrer sur un autre texte.

Irvine : J’ai beaucoup travaillé durant cette période et d’un certain côté, l’isolement, en tant qu’auteur m’a plutôt réussi. Mais à un moment, tu as besoin de sortir t’éclater : te bourrer la gueule avec tes potes, gueuler à pleins poumons à un match de foot, danser dans une boîte, te détendre au cinéma, t’émerveiller de la puissance et des prouesses athlétiques d’un ballet au Sadlers Wells… Toutes ces choses enflamment ton imagination. Tu as besoin de refaire le plein. Je trouve ça quand même plus difficile de me concentrer. Je fais des sessions frénétiques d’écriture de vingt minutes plutôt que trois heures.

Pouvez-vous imaginer comment vous auriez vécu avec ces règles sanitaires quand vous aviez vingt ans ? Pensez-vous que vos personnages, comme Matt et Tom pour John, ou Renton et Begbie pour Irvine, auraient respecté/ respecteraient la distanciation physique ?

John : C’est une bonne question. ça aurait sûrement été plus difficile à vivre quand j’avais vingt ans, mais les mesures répressives auraient-elles atteint ce niveau sans internet, je me le demande. Au moins, si j’étais dans ma vingtaine, je n’aurais pas cette impression de perdre un temps précieux. Tommy et Matt respecteraient les normes de distanciation, c’est sûr. Quant à Darren, peut-être pas autant. Pat serait vigilant et ferait tout dans les règles. Ils seraient tous dehors, à bosser, exposés aux risques. Robert Marsh ferait de longs discours sur comment agir comme il se doit, mais ferait des exceptions pour sa petite personne, se trouverait des excuses pour justifier ses actions, tandis que Chris Bradley dédaignerait de se plier à quoi que ce soit. Ces deux-là auraient la possibilité de travailler depuis chez eux, évidemment.

Irvine : Oh, il y aurait eu la révolution depuis longtemps. On serait descendus dans la rue. Les jeunes sont atomisés par la technologie maintenant. Ce n’est pas de leur faute. La culture de rue n’existe plus.

Même si elles sont complètement différentes, ces trois novellas sont pleines de rage, d’humour, de mélancolie, d’amour, de haine, de violence, d’empathie. Elles fonctionnent bien ensemble. Comment expliquez-vous cette profonde cohérence ?

John : ça m’a rempli de joie, mais ça n’était pas planifié. On a écrit ce qu’on voulait et les histoires se sont combinées en un tout. On est amis depuis vingt-cinq ans et ça n’explique peut-être rien, mais on partage une culture et une vision du monde, on a le même sens de l’humour, on aime les mêmes styles de musique et de littérature, on ne crache sur boire un bon coup. Je ne suis pas sûr de savoir répondre à cette question. ça a juste marché naturellement. Peut-être qu’au fond de moi, j’ai toujours su qu’il en serait ainsi.

Irvine : Je ne suis sûr de pouvoir l’expliquer, hormis par le fait qu’Alan, John et moi partageons une même esthétique littéraire. Ce livre et cette absurdité qu’est le Covid m’ont fait réaliser à quel point j’aime ces mecs et combien ils me manquent. J’ai hâte de les revoir quand tout ça sera derrière nous.

Interview publiée dans New Noise n°57 – mai-juin 2021

John King and Irvine Welsh (english version)

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The Seal Club – Alan Warner, Irvine Welsh, John King
‘The Seal Club is a three-novella collection by the authors Alan Warner, Irvine Welsh and John King, three stories that capture their ongoing interests and concerns, stories that reflect bodies of work that started with Morvern Callar, Trainspotting and The Football Factory – all best-sellers, all turned into high-profile films.
In Warner’s Those Darker Sayings, a gang of Glaswegian nerds ride the mainline trains of northern England on a mission to feed the habit of their leader Slorach. Frustrated, cynical and a big disappointment to his family, Slorach is also a man of great intelligence and deep knowledge, a British Rail timetables call-centre guru who just happens to be addicted to gambling machines. And pubs. Welcome to the world of the quiz-machine casual.
In Welsh’s The Providers, a terminally ill woman’s family gather in Edinburgh for her last Christmas, but everyone needs to be on their best behaviour, and that includes her son Frank, recently released from prison and trying to forge a new life as an artist. Also present is his brother Joe, who arrives in a state of alcoholic dissolution. The ultimate nightmare family-Christmas looms, where secrets and lies explode like fireworks.
In King’s The Beasts Of Brussels, thousands of thirsty Englishmen assemble in the EU capital ahead of a football match against Belgium, their behaviour monitored by two media professionals who spout different politics but share the same interests. Meanwhile, a small crew of purists run the gauntlet in Germany, eager to join the fun. As order breaks down and the Establishment rages, we are left to identify the true beasts of the story.
The Seal Club is maverick, outspoken fiction for the 2020s. It will make you think and it will make you smile.’

John King and Irvine Welsh about The Seal Club

John King 2 NB Photo : Bruno Picat
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John, where does the idea to gather these three novellas in a collection come from?

Irvine suggested it in a pub called The Ship in Soho, Central London. We had briefly touched on doing something together in the past, but this was when the idea was properly formed. There is a nice link as I first met Irvine in the same pub back in the mid-1990s, and one of the first sessions I had with Alan was in there also.

Did you find the title? Can you explain to us what ‘The Seal Club’ exactly means?

The title can be interpreted in different ways and it is best if people read the book and study the text, consider the various layers, muse on the possibilities, and then, after a period of reflection, decide on the meaning. We are sworn to secrecy on this, as otherwise the magic will be tainted. The Seal Club is as much a state of mind as anything else. So our lips are sealed. They are sealed with a kiss.

It is the first time I read one of your texts that is so short. Are there differences between writing a novel, a novella or a short story?

There are definitely differences, and it was an interesting learning experience. Is a novella a short novel? Is it a long short story? That is what I was asking myself. I decided it is neither. That it stands alone. Once I had rejected the stronger option that it must be a long short story, I was able to finish Beasts. I went for different threads, a variety of voices and styles, wanted to achieve an intensity the form allows. More expansive than a short story, more tightly written than a novel. The experience was very positive. I have two other novellas here half-done, and now I can finish them.

For those who know your work well, ‘The Beasts Of Brussels’ can be seen as a digest of your talent for giving a voice to very different characters. The words of the eurocrat Robert Marsh is very far from the language of Matt or Pat, as what they drink. How do you succeed in finding their precise way of speaking? Are certain speeches misleading?

Robert Marsh’s language reflects his background and his attitudes. He says one thing and does another. The man is a bullshitter. A hypocrite who doesn’t live his own words. Marsh and his friend Chris Bradley may spout different political views, but they behave in the same way. Our political, media and so-called creative classes are full of these people. Self-serving careerists. In a broader sense, it is a lot of fun playing with different uses of language and styles, as I also do with Matt, Pat and Tommy. Hopefully it helps show their characters and states of mind. It makes things more interesting for me as a writer as well.

We follow successively Matt, Pat, Darren, Tom. Each one expresses his views, tells some memories. Each one has a voice, a background, has lived funny stories or dramas. Did you want to personify them as individuals, whereas they are always presented as a whole, a horde?

John : It is a bonus as much as an aim. Everyone has a story. Everyone is an individual. As a writer you choose which characters you want to go into in more depth, what works for the overall story and how it balances or contradicts other characters and storylines. We live with difference, have views that may conflict with those of our friends, and that’s healthy. We don’t all have to think the same way. There is a lot of talk about diversity these days, but there seems to be a lot less diversity of thought, largely due in my view to the internet and social-media bullying.

Irvine, are women the providers? In your work in general, the main characters are often men and they get to take the center stage. Do you consider women more reliable, responsible?

Yes. Men have been responsible for many of the good things in human development but we’ve simply come to the end of our usefulness and we just  keep shitting the bed. You have to fuck up in order to grow but we keep do it in the same way and as well as threatening the existence of our species, it’s also getting boring. And all ‘enlightened’ men can come up with as a solution is to turn us into robots. If there is a future for humanity, its female.

Begbie is about to leave Edinburg. He is supposed to have changed. He doesn’t drink any more, is fit, is becoming a famous artist. He is leaving behind his bad habits and wrong crowd as if the city had a bad influence on him. How do you feel about Edinburg? Can you stay long far from your hometown?

I’ve been back in Edinburgh since Covid after a long absence. I come back regularly to write and to see family and friends. I get inspiration from North Edinburgh and Leith primarily, but the wit and style of the working classes there in general. I love the city, but it’s a big world and I’ve always aspired to immerse myself in as much of it as possible. The city is ours, but so is the planet.

“To invite Frank and Joe for Christmas, what a bloody mistake that was”. Since the beginning, the scene is set. The readers who hear about Frank for the first time, and of course those who already know Begbie, understand immediately his sister Elspeth is right, it is not a good idea. The atmosphere is tense, the explosion is expected at any moment. Is it enjoyable to deepen Begbie’s ambiguity, to play with your readers’ nerves and to share complicity with your fans?

He’s a nutter. So fundamentally disassociated from his violence. One of the great things about him is that he is unpredictable. Those are great characters to write and as a reader, they are fun to read.

The atmosphere is even tenser because everything happens behind closed doors. Nobody can escape. It happens in one room, it is like a real-time family tragedy. The reader is like a voyeur hearing and seeing secrets. Did you conceive your text as a theatrical piece that could be played on stage?

It’s had a strange history. I thought of it as a black box play and then I wrote it as a shorter piece for The Big Issue before developing it into a stage play. Obviously with Covid nothing is happening theatre wise so I redeveloped it as a longer piece for Seal Club.

We are living a terrible period at the moment with the covid pandemic, with the masks, the curfews and lockdown. Pubs, stadiums, clubs, concert halls are closed. Does it affect your way of writing? Does it limit or free your imagination?

John : It hasn’t affected my way of writing in one sense, as I impose my own lockdowns in order to fully concentrate, but they only last one month at the most. The pandemic does make it harder to focus though, as my mind is racing like everyone else’s, and what is going on connects to things I have written about in the past, whether it is White Trash and healthcare, or the origins of the virus and Slaughterhouse Prayer. In terms of imagination, it has pulled me towards The Liberal Politics Of Adolf Hitler, added to ideas I have for a follow-up set further into the future. There is a whirlpool in my head where those three novels keep spinning, even though I am trying to focus on other writing.

Irvine : I’ve been working hard and on one level it’s been great as writer thrive on isolation. But you need to get out for a tear; get pissed in the boozer with your mates, shout your lungs out at the football, dance in a nightclub, relax in the cinema, marvel at the power and athleticism of the ballet at Sadlers Wells…these things fire the imagination. You need to replenish the well. I’m also finding it harder to concentrate, writing in 20 minute rather than 3 hour bursts.

Can you imagine how you could have lived under these sanitary rules in your twenties? Do you think your characters, such as Tom or Matt, would respect/have respect(ed) the social distancing?

John : Good question. It would have been more difficult in my twenties I am sure, but would there have been the same sort of crackdown without the internet I wonder? At least if I was in my twenties I wouldn’t have this sense of losing precious time. Tommy and Matt would respect the social-distancing measures for sure, but Darren maybe not so much. Pat would be dedicated and do everything by the book. They would all be out working and exposed. Robert Marsh would talk a lot about doing the right thing, but make exceptions for himself, justify his actions, while Chris Bradley would be dismissive. Those two would be able to work from home.

Irvine : Oh there would have been a revolution by now. We would have been out on the streets. The young are atomized by technology now, it’s not their fault, there’s just no street culture.

Even if completely different, the three novellas are all full of fun, rage, violence, melancholy, love and hate, empathy. They work well together. How do you explain that deep coherence?

John : I was really pleased about that, but it wasn’t planned. We wrote what we wanted and the stories came together as a whole. We have been friends for twenty-five years, although that wouldn’t be the reason, but we share a culture and a view of the world, have the same sense of humour, like similar music and literature, enjoy a good drink. I am not sure of the answer to this question. It just worked naturally. Maybe deep down I always felt it would.

Irvine : I’m not sure I can, other than an overlapping literary aesthetic between John, Alan and myself. This book and this Covid nonsense has made me realise how much I love and miss those guys and I’m looking forward to seeing them when this is over.

Interview published in New Noise n°57 – May-June 2021

Slaughterhouse Prayer. John King (english version)

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John King has been a vegetarian/vegan since the beginning of the 80’s. He decided not to eat meat long before the current interest of the food industry in this trend. The choice was not, for him, a healthier way to eat but was the result of a deep awareness. To be a vegan means living an ethical life, based on a moral code. On a subject he cares so much about, a project he has been thinking about for ten years, he could not fail. And he has succeeded in writing a monumental work of art. Slaughterhouse Prayer is much more than a brilliant advocacy of veganism. It is not a militant book, in the dogmatic sense of the word. John King is far too clever just to make a final judgement on his fellow men. He is not a know-it-all. He does not try to guilt trip his reader, which would be counterproductive. He does not preach. Slaughterhouse Prayer is not (only) for convinced ones, it talks to everybody. King lets people make their own way, do their soul-searching. And it really hurts. He moves you through fiction, in a sensitive, dreadful novel you will need time to process. You are going to be sincerely upset, profoundly messed up, totally overwhelmed.

The novel tells the story of the main character, Michael Tanner, at three different stages of his existence, in a non linear narrative, made of flashbacks and memories mixed with moments of Michael’s present life, as he is now a mature man. So, three Michaels relay the story, and the spot is tense until the end. Little boy Michael, during a visit at his grand-father’s in the country, understands that animals are killed to be eaten, that sausages are made of dead flesh. And they are not only killed. They are humiliated, insulted, raped, tortured. And nobody cares because they are only animals and have no consciousness, feel no pain, don’t think, have no emotions or memories. As a young man, Michael becomes a radical animal rights activist and questions the justification of violence towards men in order to protect the non-human animals. Later, Michael, calmed down but still not eased, splits up with his world. Will he find peace at last?

To make you feel, that’s John King’s whole talent. First, he enables his reader to understand the permanent aggression you suffer when you are a vegan in a meat-eater environment. The ads, the smells, the leather, everything reminds you the horrors the others refuse to see. And these horrors, King describes them in unbearable passages where animals, a pig, a lamb, a bull become Peter, Mary or John. They tell what they endure; they share their fears and pains. These scenes are terrifying because King translates their thoughts simply, from their point of view. He demonstrates there all his writing skill, as he examines by the way our use of language. When we call a man a smelly pig or a woman a dirty cow, we show our contempt towards beings we don’t only kill but also humiliate.

I am not a vegan, even not a vegetarian. I am one of those who look away. I am one of these hypocrites who put up with this awful lie. So, Yes John, I feel like shit. But thank you for not judging me as a person, for having allowed me to read Slaughterhouse Prayer without excluding me, for giving me a chance to become better. Thank you for this sentence: « but these were his brothers and sisters and he needed to believe that his species was weak rather than evil. They were big babies, overgrown kids building snowmen and adding carrot noses. He needed to belong. He didn’t want to be alone. » Thank you for your love of humankind, after all, for your sweet pages on its gardens, pubs, music and books.

The future is unwritten, but it will be vegan one day, for sure.

Slaughterhouse Prayer / John King. London Books, 2018

Slaughterhouse prayer de John King

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John King est végétarien/vegan depuis le début des années 80. C’est dire s’il n’a pas attendu que l’industrie agro-alimentaire s’empare de cette tendance pour se composer des menus dépourvus de viande et que ce choix n’est pas pour lui une façon plus saine de consommer, mais découle d’une prise de conscience profonde. Etre vegan, c’est vivre selon une éthique, un code moral. Sur un sujet qui lui tenait tant à cœur, un projet qu’il murit depuis dix ans, il ne pouvait pas se rater. Et il a réussi à écrire une œuvre monumentale.

Slaughterhouse Prayer est beaucoup plus qu’un brillant plaidoyer en faveur du véganisme. Ce n’est pas un livre militant, dans le sens doctrinaire du terme. John King est beaucoup trop intelligent pour se contenter de jugements hâtifs et définitifs sur ses semblables. Il n’est pas dans une posture donneuse de leçon. Asséner des vérités, culpabiliser son prochain serait passer à côté du but. Il ne s’adresse pas aux convaincus, il ne prêche pas, il parle à tous. Il s’arrange pour que chacun fasse son chemin, son examen de conscience. C’est à travers la fiction qu’il touche, dans une œuvre sensible, effroyable, qu’il faut du temps pour digérer. Dire qu’on en ressort profondément dérangé, déstabilisé, complètement secoué serait en dessous de la réalité. On en ressort intensément bouleversé.

On suit le personnage principal, Michael Tanner, à trois différentes étapes de sa vie, dans un récit non linéaire, fait de retours en arrière, de souvenirs qui s’entrelacent avec des moments dans le présent de Michael, alors qu’il est maintenant un homme mûr. Trois Michael donc, relaient l’histoire, dans un suspense, une intrigue tendue jusqu’au bout. Petit garçon, Michael comprend, alors qu’il séjourne à la campagne chez son grand-père vegan, qu’on tue les animaux pour les manger, que les saucisses sont faites de chair morte, que le bacon provient de ces cochons rieurs qui ont l’air si heureux sur les emballages manufacturés. Et on ne se contente pas de les tuer. On les insulte, on les fait souffrir, on les viole, on les émascule, on les torture, on les génocide. Sans que personne ne s’en émeuve, puisque ce ne sont que des animaux dépourvus de conscience, qui ne ressentent pas la douleur, ne pensent pas, n’ont ni sentiment ni mémoire. Devenu post-ado, Michael devient activiste de la cause animale, et questionne la justification d’actions violentes envers les hommes sous prétexte de défendre les animaux non-humains. Plus tard, Michael, assagi mais pas apaisé, après une phase de rupture totale avec son monde, finira-t-il par trouver une sorte de paix ?

Faire ressentir, c’est tout le talent de King. D’abord, en permettant au lecteur de comprendre l’agression que l’on subit dès lors qu’on refuse de participer au massacre. Les publicités, les odeurs, le cuir… rappellent en permanence les horreurs que les autres refusent de voir, horreurs décrites dans des passages insoutenables. Les animaux, cochon, agneau, taureau deviennent Peter, Mary ou John. Ils racontent ce qu’on leur fait, ce qu’a été leur vie, leur terreur, leur douleur. Ce sont des passages terrifiants car King ne leur prête pas de sentiments humains, il relate leurs pensées en se mettant à leur place et leur effroi sonne juste. Son travail d’écriture prend alors toute sa place, examinant au passage notre utilisation du langage. Traiter un homme de sale porc, une femme de grosse vache sont des insultes témoignant de notre mépris envers des êtres qu’il ne nous suffit pas de tuer, mais qu’il nous faut également humilier. Dans le même temps, John King, relatant de mystérieuses agressions, se plaît à faire ressentir à son lecteur une jouissance extrême, un plaisir pervers quand certains personnages immondes, cruels se font dessouder. En nous plaçant d’emblée du côté des gentils, il parvient, subtilement, à nous faire nous interroger sur nous-mêmes : suis-je si différente de ces monstres ? Suis-je une bonne personne ?

Je ne suis pas vegan, pas même végétarienne. Je fais partie de ceux qui détournent le regard, qui se trouvent toutes les excuses possibles, des hypocrites qui s’accommodent de ce mensonge terrible. Alors, oui, John, I feel like shit. Mais merci de ne pas me juger en tant que personne, de m’avoir permis de lire Slaughterhouse Prayer sans m’exclure, en me laissant une porte de sortie, de me laisser devenir plus responsable. Merci pour cette phrase, empruntée à Tanner : « but these were his brothers and sisters and he needed to believe that his species was weak rather than evil. They were big babies, overgrown kids building snowmen and adding carrot noses. He needed to belong. He didn’t want to be alone. » Merci pour ton amour des hommes, malgré tout, pour tes pages si douces sur leurs jardins, leurs pubs, leur musique et leurs livres.

The future is unwritten, mais il sera certainement, un jour, vegan.

Slaughterhouse Prayer / John King. London Books, 2018

Prison House de John King

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Jimmy Ramone, voyageur solitaire, est jeté en prison, quelque part aux confins de l’Europe méditerranéenne, on ne sait pas exactement où, on ne sait pas pourquoi. Jimmy ne comprend pas la langue ni les usages du pays. Il comprend encore moins les mœurs pénitentiaires, dans cette forteresse des Sept Tours, cette citadelle immense, écrasante, tout en haut de la colline, de laquelle on ne s’échappe pas. Incapable de communiquer, il ne peut pas se défendre. Alors, il cherche à se fondre dans le décor, se faire oublier, et il comble les heures en s’inventant des personnages, des héros libres dont il vit les aventures par procuration, aux Etats-Unis ou en Inde.

Jimmy appréhende son nouvel environnement, glacial, terrifiant, en même temps que le lecteur, qui découvre au fur et à mesure ce qui se joue véritablement derrière l’apparence d’un classique roman sur l’enfermement. Jimmy, s’il rend les coups qu’il prend, n’est pas révolté, semble accepter son sort. Frappé par une histoire personnelle, dont on ne saisit les tenants qu’à la toute fin, il agit comme s’il méritait ce qui lui arrive.

Prison House est un roman, noir, envoutant, plein de ténèbres et de lumière. Les sentiments qu’on y éprouve sont si puissants qu’ils vous hantent pour toujours. John King parvient, au travers d’une introspection narrative, à nous faire ressentir le désespoir de cet homme tellement seul. Récit au présent, à la première personne, immersion totale. L’empathie est ici absolue. On est Jimmy. On souffre avec lui. On mange, on dort avec lui. On a peur comme lui. C’est un véritable tour de force que de retenir l’attention avec autant d’intensité alors que les actions qui se succèdent sont infimes, faites de petits riens. Les heures s’égrènent lentement. Jimmy apprivoise sa peur, notamment celle d’être transféré dans le bloc le plus dur de la prison, où règne le chaos. Il s’habitue. Il arrive même à connaître à nouveau le plaisir et la joie. Car tout n’est pas mauvais dans cette vie carcérale. Bien sûr, les gardiens sont des brutes sadiques. Certains détenus sont dangereux, fous. Mais l’amitié n’est pas un vain mot. Malgré les difficultés à se faire entendre, Jimmy, à force d’observation, finit par se lier avec plusieurs de ses compagnons d’infortune. L’être humain possède en lui des trésors de patience, de bonté, de bienveillance. Ces passages, sans tomber dans le pathos ou la mièvrerie, vous tirent les larmes.

King fait alterner les dérisoires bouleversements qui émaillent le quotidien des prisonniers, dans une vie réelle, abrupte où chaque détail prend des proportions énormes à cause du désœuvrement (l’arbre rachitique de la cour perd ses feuilles ; la douche est un réconfort infini…) avec les rêves éveillés de Jimmy (l’exotisme odorant des paysages indiens ; les amours de son double sur les routes d’Amérique…) et ses vrais souvenirs. John King dit de Prison House que c’est son roman le plus personnel à ce jour. On comprend pourquoi à la lecture des pages dans lesquelles Jimmy se revoit, enfant, en Angleterre, accompagné de sa maman et de Nana, sa grand-mère. Comment ne pas y voir John, petit garçon, avec ses peluches, lors de son premier jour d’école ? Ces chapitres précis, dénués de toute ponctuation, à hauteur de gosse, sont le fil rouge du récit et mènent à la conclusion, à la résolution terrible de l’histoire. Quand on comprend ce que Jimmy fait là. Quand on comprend que l’incarcération aux Sept Tours, injuste, n’est rien par rapport aux souffrances mentales qu’il s’inflige à lui-même, aux remords qu’il ressent au sujet d’une faute qu’il a commise, il y a longtemps, qu’il n’arrive pas à se pardonner. On a alors le cœur brisé, en miettes, explosé d’un trop plein d’amour.

Prison House / John King. trad. de Diniz Galhos. Au Diable Vauvert, 2018

John King : deuxième interview

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Photo : Jaimie MacDonald
En colère, John King ? The Liberal Politics of Adolf Hitler, son dernier roman, pas encore traduit en français, est une dystopie féroce, un coup de gueule qui tabasse contre l’Union Européenne, les banques, la surveillance généralisée, l’érosion de la démocratie. La société qu’il décrit est dirigée par les bureaucrates, dans une Europe si unifiée que les pays membres s’y sont fondus. La technocratie se passe de l’avis des peuples, contrôle l’information et impose la terreur grâce aux nouvelles technologies. Heartland peut dormir tranquille. Les Bons Européens ont compris ce qui est bien pour eux. Sous leurs dômes de verre, les villes sont protégées. La climatisation est bien réglée, l’air aseptisé. Les animaux sauvages sont éradiqués. A l’extérieur, quelques zones de résistance subsistent, mais elles seront vite annexées. Ceux qui osent se rebeller, ces terroristes réactionnaires, seront sévèrement punis. Partout règnera la Nouvelle Démocratie.
John King était pour le Brexit, vous l’aurez compris, mais on aurait tort de ne voir dans son livre qu’une attaque passagère et anglo-anglaise contre L’UE. C’est un avertissement plus vaste, et durable contre les dérives de notre monde, contre une globalisation imposée qui broie les petits, contre une pensée « libérale » unique. Vision glaçante d’un futur totalitaire empruntant à Orwell son efficacité narrative, The Liberal Politics of Adolf Hitler, pénétrée d’un humour so british, est une oeuvre qui fera date.
Dans ton dernier roman, une dystopie, il n’y a plus de pays en Europe, mais un état supranational, l’Etat Uni d’Europe (l’EUE), dirigé par une élite technocratique. Les Crates, les Bureaus et les Contrôleurs sont au service du pouvoir centralisé établi à Bruxelles et Berlin. Dans cette Nouvelle Démocratie, « il n’y a plus besoin d’élections. » Les Bons Européens sont heureux de respecter les règles. Ceux qui ont des idées incorrectes, les Communs, sont considérés comme des terroristes qui doivent être éduqués et réprimés. Sur la quatrième de couverture, il est écrit : « bien que situé dans le futur, le livre parle bel et bien d’ici et maintenant. » Penses-tu réellement que les Européens vivent dans un simulacre de démocratie et que l’Union Européenne nous entraîne vers une dictature ?

Je ne pense pas qu’on en soit encore arrivé là, mais je crois fermement que la démocratie est en train de s’éroder. Au niveau national, il est clair que nos élites ont délaissé nos souverainetés au profit de Bruxelles. Il y aura toujours des gens et des organisations qui veulent contrôler la société, et tant que nous aurons facilement accès au crédit et à un bon niveau de prospérité matérielle, ça sera toujours le cas. Alors oui, je pense que l’Union Européenne pourrait devenir une dictature un jour, mais une dictature très différente de celles que nous avons vécues par le passé. On ne parle pas ici de leaders qui braillent ou de soldats qui défilent ou d’invasions éclairs à la blitzkrieg. Cela serait plus subtil et plus durable, accompli grâce à la manipulation des lois et une utilisation astucieuse d’internet, un lent processus de lavage de cerveau des populations par la réécriture de l’Histoire dissimulée sous une couche de vernis progressiste. On dit que la véritable force d’un système totalitaire se tient plus dans sa bureaucratie que dans son armée et je pense au magnifique roman de Hans Fallada, Seul dans Berlin, à la peur que ressentent les principaux personnages, à vivre dans une société où personne n’ose dire ce qu’il pense, car ils sont entourés de délateurs. J’ai toujours à l’esprit 1984 de George Orwell et son « pouvoir des prolos », où le seul espoir qui reste réside dans le peuple, dans la force potentielle des masses si seulement elles pouvaient s’unir. Dans ces livres, l’information est contrôlée, déformée. Qu’est-ce qui est vrai, et qu’est-ce qui est faux ?

La mission de l’Union Européenne, celle de créer un Etat supranational, s’est développée à travers les générations, et pendant des décennies ce coup d’Etat au ralenti s’est déroulé dans les coulisses, et quiconque a osé le remettre en question a été insulté et sali. Mais l’Union Européenne est seulement une partie de quelque chose de plus vaste qui comprend la globalisation, une gouvernance mondiale, un pouvoir toujours plus grand accordé aux banques et aux multinationales, et l’exploitation d’internet et des nouvelles technologies.

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N’y a-t-il pas une sorte de provocation dans le titre que tu as choisi, The Liberal Politics of Adolf Hitler, une sorte de provocation punk ?

Le titre est une absurdité qui reflète à quel point l’Histoire a été déformée à l’ère de cette Nouvelle Démocratie. Avec un peu de chance, les gens y réfléchiront quelques secondes plutôt que s’attarder sur son sens littéral. C’est du double langage. Du triple langage même. Je ne l’ai pas pensé comme une provocation, mais tu as raison, il y a beaucoup de connections avec le punk dans mon roman.

Comme le chantaient les Clash dans « (White Man) In Hammersmith Palais » : « If Adolf Hitler flew in today, they’d send a limousine anyway. » Si Hitler atterrissait aujourd’hui, ils lui enverraient une limousine.

Ce qui unit les Bons Européens, c’est l’uniformité, la conformité, rien d’autre que du vide. Ils pensent tous la même chose, mangent la même chose. Considères-tu que l’Union Européenne nie les spécificités, les identités des différents pays ?

Cet élément a toujours été présent dans notre société, mais il a pris de l’ampleur, est devenu plus influent, plus accepté. Dans mon roman, je pousse les choses plus loin, au point que les pensées de ces Bons Européens sont autocensurées, sont une extension du prétendu politiquement correct, ce qui peut être étouffant et destructeur, quand chaque mot ou geste peut être pris de travers. Je crois en la liberté de parole et de pensée, et je vois bien combien la liberté de parole au moins est attaquée. Si vous obéissez aux règles, vous serez récompensés… ça n’a rien de nouveau.

En ce qui concerne l’Union Européenne, ce à quoi nous assistons aujourd’hui est différent de ce qui se passera dans un an. Elle devient de plus en plus puissante et est en train de dominer les gouvernements nationaux. Elle cherche à étendre ses frontières, à construire un empire et pense à former une armée. Au bout du compte, il lui faudra homogénéiser les cultures européennes et créer une identité unique. Elle a déjà un drapeau, un hymne, une assemblée législative, une force paramilitaire. Elle aime l’idée d’un gigantesque parc à thème plein d’attractions touristiques, mais rejette les attachements locaux forts, car ils menacent le succès du Projet.

Dans l’EUE, de nouveaux règlements sont constamment promulgués, des règles que les gens ne peuvent pas comprendre ou discuter. Parce que « le changement est une bonne chose. Le changement signifie le progrès. » Les technos inventent de nouveaux mots pour créer de nouvelles idées, de nouveaux concepts absurdes. Est-il plus facile d’être obéi quand on n’est pas compris ?

Des slogans simples et réconfortants en public, des règlements compliqués et secrets dans les coulisses… C’est ainsi que la législation anti-démocratique opère sa magie. L’idée que tout changement est un bienfait convient au monde des affaires, car ça veut dire que tout doit être remplacé, ce qui signifie plus de profits. C’est la révolution perpétuelle prônée par les capitalistes, en plus d’être un outil idéal pour que les gens s’endettent et soient par là-même plus contrôlables. La vérité, c’est que certains changements sont positifs, et d’autres non, qu’on a besoin d’un équilibre, mais en ce moment on est traités de passéistes ou de nostalgiques dès qu’on cherche à préserver les choses, ou les remettre en cause. On voit bien ça à travers tous ces gadgets en constante évolution, et dans la lourdeur des règlements toujours nouveaux. Sans compter qu’à une plus grande échelle, la convoitise des terres, des biens, les privatisations conduisent au démantèlement de communautés.

Comment as-tu créé cette Novlangue, ce nouveau langage, si efficace dans ton roman ?

Je l’ai développée au fur et à mesure de l’écriture, c’est venu naturellement, en utilisant certains mots et en déformant leur sens, en ajoutant des expressions puériles, une sorte de « parlé bébé » par endroits, en poussant à l’extrême la façon dont le langage est manipulé de nos jours. ça a été très drôle à faire. Ajouter de la distorsion et du feedback tout en montant le volume, comme King Tubby ! Mais avec des mots à la place du son.

Dans le monde que tu décris, l’Histoire est réécrite. Les héros sont les unificateurs (Staline, Hitler, Merkel, Napoléon…) tandis que Churchill, par exemple, était « un alcoolique, un bandit, farouchement opposé à l’unification. Il a rejeté les progrès accomplis par des hommes tels que le Contrôleur Adolf ou le Contrôleur Joe. » Les Bons Européens sont convaincus que « l’Angleterre n’a jamais existé. C’est un mythe. » Quelle est l’importance de l’Histoire dans la construction du futur ?

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Il y a les histoires qui se transmettent à travers les familles et les communautés, et les histoires officielles. Les deux sont sujettes à la déformation, intentionnellement ou non, et nous interprétons les événements selon nos propres convictions. Mais au niveau de l’Etat, il y a d’autres facteurs en jeu. L’Histoire est essentielle dans la construction du futur, à mon avis. Ceux qui détiennent le pouvoir, les richesses et des intérêts dans l’Union Européenne ont été furieux envers ceux qui ont voté pour quitter l’UE à la suite du referendum, ici, en Grande-Bretagne. Ils ont déclaré qu’on était incultes, stupides, perdus, racistes, trop vieux. Ils ne peuvent tout simplement pas accepter la vision de l’Histoire qu’ont les gens, leur interprétation des événements et leur sens de l’identité.

Mon roman White Trash traitait des mêmes préjugés, de cette division qui existe entre ceux qui ont du pouvoir et ceux qui n’en ont pas. L’accusation selon laquelle les vieux seraient en quelque sorte égoïstes et cruels pour avoir voté en faveur du départ de l’UE est révélatrice. Ceux pour le maintien dans l’Union nous ont seriné que l’idée de quitter l’UE était passéiste, qu’elle signifiait être replié sur soi-même, mais ce n’est pas ainsi que la majorité a vu les choses. Voter pour l’indépendance était au contraire être tourné vers l’avenir, se libérer d’un système non démocratique et engager le dialogue avec le monde. Les plus âgés ont été moins effrayés que les jeunes car ils ont vu évoluer l’Union Européenne, ils connaissent son histoire et savent où elle nous entraîne. Où les jeunes ont-ils la chance d’entendre l’histoire la plus honnête ? De la bouche de leurs familles et communautés, ou de la part d’un gouvernement qui fricote avec les banques et les multinationales, une collection de carriéristes qui travaillent pour leur propre gratification ? Ces tentatives de monter les familles les unes contre les autres, de diviser les jeunes et les vieux, sont une honte.

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Une Angleterre Libre, loin d’Heartland, existe encore. Ces locaux sont considérés comme sous-éduqués et dangereux par les Bons Européens. « Les Communs ne devraient jamais être livrés à eux-mêmes. » Est-ce une version de l’élite contre le peuple?

Oui, et on constate ce phénomène au-delà de l’Angleterre, et il n’est pas nouveau. Les rois et reines du passé, qui se mariaient entre eux et contrôlaient l’Europe, ont été remplacés par un groupe international qui prêche le libéralisme sans se l’appliquer à lui-même. Ils partagent la même culture élitiste que les anciens propriétaires terriens et les vieilles familles royales, éprouvent un dégoût similaire envers les classes populaires. Je suis sûr que c’est pareil en France, en Europe, et dans le reste du monde.

A propos des rois et reines, que penses-tu de la monarchie au Royaume-Uni ? Ce système ne vous coûte-t-il pas très cher ?

Je pense que la plupart des gens ici aiment bien la reine. ça peut semblait en contradiction avec certaines autres de mes opinions, et ça l’est vraiment, mais je ne suis pas antimonarchiste et je ne voudrais pas voir ce système abrogé. Je ne me sens pas assujetti. Je considère qu’ils n’ont aucun pouvoir politique ; ils représentent une tradition et sont le point de mire de notre pays quand celui-ci est menacé. Je me moque de la monarchie dans son sens le plus vaste, cependant, les propriétaires terriens et tous les autres. La reine représente une continuité que beaucoup de gens apprécient, car elle a traversé tant de différentes époques de notre histoire moderne, et je ne sais pas ce qui arrivera quand elle mourra. La famille royale coûte très cher, mais on dit qu’ils rapportent encore plus à travers le tourisme. Les gens disent que la société serait transformée si nous n’avions plus de roi ou de reine, qu’on pourrait avoir un président comme ailleurs, mais avec qui on se retrouverait ? Tony Blair ? Nick Clegg ? Sir Bob Geldof ? Je préfère de loin Queen Elizabeth. Je suis pratiquement sûr que Johnny Rotten aime la reine, lui aussi.

Un de tes personnages, dans L’Angleterre Libre, affirme : « Le vieil accent saxon des comtés de l’est et du sud était insulté depuis des siècles par l’aristocratie francophile et latine. Les dirigeants européanisés d’avant l’époque imbécile dans laquelle nous vivions avaient alimenté un préjugé racial qui persistait toujours. » Tu penses la même chose ?

Oui. Il y a une grande division dans la langue anglaise, et dans ses accents. C’est la différence qui existe entre « baiser » et « copuler », l’un est un gros mot et l’autre du bon anglais. La monarchie et la haute société étaient souvent étrangères, internationales ; elles restaient entre elles et parlaient un langage différent des masses. Les autochtones étaient considérés comme une classe inférieure, tout comme leur culture, leurs coutumes. C’est encore vrai aujourd’hui. Les riches de ce pays ont toujours considéré que la culture européenne était plus sophistiquée, et quand une nouvelle classe moyenne émergeait, le même schéma se reproduisait parce qu’elle imitait la classe supérieure. Cela nous ramène à l’Union Européenne et la division entre les sentiments des masses et la conduite des riches et de ceux qui détiennent le pouvoir. C’est un très vieux préjugé qui perdure. C’est une vérité mise à nu dans The Liberal Politics of Adolf Hitler.

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« Voter pour quitter l’UE n’est pas une fin en soi, c’est un début. »

Selon toi, la seule façon pour les gens de retrouver leur identité, de lutter contre le mépris des élites, d’être libre, c’est de quitter l’Union Européenne ? Le Brexit ne peut pas être une fin en soi…

C’est la seule façon, et voter pour quitter l’UE n’est pas une fin en soi, c’est un début, qui nous permettra certainement de préserver notre identité. Le vote en faveur de la sortie de l’UE a été une défaite cuisante pour l’élite, mais ils sont toujours là, et il nous faut nous battre maintenant pour être sûrs d’aboutir à un véritable Brexit, car ils vont faire tout ce qu’ils peuvent pour ne pas respecter cette décision. Cela implique de quitter le marché unique et l’union douanière, et si l’on y parvient, la lutte intérieure concernera la nature de la société que nous construirons dans le futur. Cela ne change rien. Mais rester dans l’UE aurait été un désastre. Partir à moitié n’entrainerait qu’une faible amélioration.

Dans tes Villages Libres, les habitants sont quasiment auto-suffisants. Des valeurs comme la solidarité, l’amitié, le respect des anciens, ne sont pas des vains mots. Le localisme est-il la solution ?

The Liberal Politics of Adolf Hitler est un roman écolo. Tout y est question de localisme. La décentralisation du pouvoir. Les gens qui travaillent les uns pour les autres, au-delà de motivations pécuniaires.

Puisque les pays n’existent plus dans l’EUE, et que tes rebelles se battent pour la défense de la nation anglaise, le localisme est-il une forme de patriotisme dans ton roman ?

J’ai tenté de lier localisme et patriotisme, parce qu’ils sont la même chose d’une certaine façon, même s’ils s’expriment différemment. ça peut sembler une provocation aux yeux de certains, surtout dans les cercles écolos, de gauche et progressistes, car afficher son patriotisme est toujours vu comme un truc de droite, comme le mal absolu. C’est très bien que les gens soient prudents avec cette notion, mais cette réaction peut aussi être très sectaire en soi. En soulignant ce qu’ils ont en commun, il est possible de rapprocher les gens. Alors oui, le patriotisme s’apparente au localisme et le localisme peut être patriotique.

Durant la campagne pour le referendum, ceux qui étaient pour quitter l’UE ont été accusés de racisme, ce qui t’a mis très en colère. Tu as utilisé la formule dans ton roman. Les Communs sont censés être racistes, et « les racistes remettent en question la centralisation du pouvoir. » Tu nous expliques ?

C’est très facile de traiter quelqu’un de raciste ou de fasciste pour couper court au débat. Il y a des racistes qui ont voté pour quitter l’UE, comme il y a des racistes qui ont voté pour y rester, j’en suis certain. La focalisation des médias sur l’immigration a été une façon de ne pas aborder les questions primordiales. L’autre sujet abordé dans « le débat » a été le commerce. Point barre. Il n’y a quasiment pas eu de discussion sur la direction prise par l’UE. C’est devenu un spectacle télévisuel avec des politiciens se gueulant les uns sur les autres. Pour moi, et la plupart des gens que je connais, l’enjeu du débat a toujours été sur les notions de perte de démocratie, d’identité, sur la nature corporatiste de l’UE. Mais ces insultes, de « racisme » ou « fascisme », perdurent depuis des décennies. Ceux qui profèrent ces termes si facilement en affadissent le sens.

L’UE n’est pas coupable de tous les maux, pourtant. L’Angleterre elle-même, et tous les gouvernements qui s’y sont succédés depuis les années 80 au moins, ont affiché un beau mépris envers les classes populaires, et les prolétaires ont beaucoup souffert avec les lois sur le National Health Service, le transport ferroviaire, l’éducation, les syndicats, les contrats de travail… Quand tu écris à propos de l’EUE : « L’amour débordait tant que le crédit demeurait accessible et que les profits augmentaient », n’est-ce pas une bonne définition de l’Angleterre capitaliste ?

Sans aucun doute. L’establishment britannique et l’establishment de l’UE ne peuvent être séparés. Ce sont les mêmes gens. Les gouvernements du Royaume-Uni ont cherché à transformer le NHS, à privatiser le chemin de fer et le noyau industriel, attaquer les syndicats, et c’est aussi ce que fait l’UE à une plus large échelle. L’Etat britannique nous a impliqués dans l’UE, nous y a enlisés, et a fait campagne pour que nous y restions. Il a cédé notre souveraineté et des milliards de livres venant des contribuables, il a trahi le peuple. Pour lutter contre la libéralisation du NHS et renationaliser les chemins de fer, protéger les salaires en encadrant le travail, eh bien, nous devons quitter l’UE car ses lois et directives s’opposent à de telles démarches, mais nous devons aussi changer de gouvernement. Nous gagnerions beaucoup à une nouvelle sorte de politique, et on dirait bien que c’est ce qui est en train d’arriver. On peut ne pas partager leurs idées, mais les succès du UKIP (Ndr : parti souverainiste très à droite), ou du SNP (Ndr : Scottish National Party : parti de centre gauche qui prône l’idée d’une Ecosse indépendante du Royaume-Uni dans l’UE), les changements au sein du Parti travailliste, représentent de grands bouleversements. Rejeter l’élite de Bruxelles a été pareil que rejeter l’élite britannique.

L’élite d’un pays n’inclut-elle pas aussi les intellectuels, les auteurs, les scientifiques, les poètes…? Ces gens-là sont-ils à rejeter comme ceux qui ont l’argent et le pouvoir ?

Cela dépend vraiment des définitions qu’on en a, et le terme est tendancieux, selon que l’on associe ou non élite à élitisme. Mais ces gens que tu mentionnes devraient vraiment être mis à part. On peut espérer, au contraire, que les écrivains, les poètes et les philosophes soient le plus éloignés possible de l’élite, pour qu’ils puissent se poser les bonnes questions. Mais il existe un mécanisme qui consiste à prendre des gens dans tel ou tel domaine, et les contrôler en leur offrant des récompenses financières et des honneurs. Pas tant en ce qui concerne la science, mais la culture. Les universités sont là pour canaliser la pensée, la contrôler et la réorienter, pour qu’elle se fonde dans l’élite. Si vous obéissez, si vous vous conformez, la vie est beaucoup plus facile.

Qui décide qui est le meilleur dans sa discipline ? Il y a des canons en littérature, par exemple, mais ils sont définis par une classe professionnelle qui impose ses règles, et même sa censure. Cependant, on ne devrait pas rejeter quelqu’un sous prétexte de sa naissance ou de sa fortune, mais écouter ce qu’il dit et chercher à comprendre ce en quoi il croit. Vous pouvez être issu de l’élite, et vous rebeller quand même. Faut être juste.

L’union Européenne n’était-elle pas une belle idée, au départ ? Son but n’était-il pas d’unir les peuples et d’arrêter les guerres ? Si non, pourquoi l’ont-ils faite ? Et pourquoi l’élite demeure-t-elle toujours très attachée à cette idée ?

L’idée de créer un Etat supranational européen date de bien avant la seconde guerre mondiale, même si le besoin de stopper de futurs conflits entre l’Allemagne et la France a été vraiment déterminant. Mais ce sont l’armée américaine et l’OTAN qui ont préservé la paix. C’est peut-être pour cette raison que tant de gouvernements européens en veulent aux Etats-Unis depuis. Il en va de même pour la Grande-Bretagne et la Russie. Faites une faveur à quelqu’un, et il ne vous le pardonnera jamais…

Il y a eu des idéalistes impliqués dans la formation de l’UE, je ne nierai jamais cela, et il y en a encore, mais en tant que personne qui refuse que l’Angleterre et la Grande-Bretagne soient divisées et ne soient plus que des régions d’un empire européen, je la rejette, et je la rejette aussi pour ses tendances politiques.

Il existe un autre argument qui dit que l’UE a été créée pour limiter les acquis sociaux obtenus à la fin de la seconde guerre mondiale, pour protéger le capitalisme et les élites occidentales. D’autres encore prétendent qu’elle a des fondements fascistes. Les Nazis étaient plus des suprématistes blancs que des nationalistes. Ils voulaient créer un superétat européen, mais ont été vaincus par des patriotes qui se sont battus pour sauver leur culture telle qu’elle s’exprimait à travers l’Etat nation. Nous nous sommes battues pour sauver la Grande-Bretagne, la Résistance française et les Forces Françaises Libres se sont battues pour sauver la France, les Russes se sont battus pour sauver la Russie, pas le communisme. Ils l’ont même appelée la Grande Guerre Patriotique. Il y a plein d’opinions différentes au sujet des origines de l’UE, et c’est pas mal d’y réfléchir.

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photo : Jaimie MacDonald
Dans ton roman, tous les Bons Européens partagent la même culture, une sorte de culture remixée et édulcorée. Ils écoutent des versions soft d’Abba, des Rubettes ou Jean Rotten. Les versions physiques, matérielles des livres et des disques sont interdites. La technologie, et notamment la numérisation, sont-elles dangereuses?

La technologie n’est pas dangereuse, mais l’utilisation qu’on en fait peut l’être. Dans le livre, la numérisation a été imposée comme moyen de contrôle social. Les humains ont développé des façons de faire passer l’information aux générations futures, ont tenté de vaincre la mort et le temps, de partager leur expérience et leur savoir, mais les versions numériques des livres, des films, des photos ou de l’Histoire existent uniquement dans le cyberespace. Par accident, ou intentionnellement, l’Histoire pourrait se perdre s’il n’y en avait pas d’archives physiques.

Publier des livres, physiques, et défendre la littérature anglaise, est-ce pour cela que tu as fondé London Books, ta maison d’édition ?

On a commencé London Books parce qu’il y avait tous ces vieux romans qui méritaient d’être publiés, selon nous. J’ai essayé d’y intéresser des éditeurs, et comme ils n’ont eu aucune réaction, on a décidé de les sortir nous-mêmes dans la collection London Classics. Je m’occupe de cette collection et notre but est de produire une série de romans qui sont le reflet d’une littérature oubliée, et rejetée, une littérature consciente socialement, et qui prend ses racines dans et autour du prolétariat londonien. C’est une autre vision de la ville. Si on avait plus d’argent, on aimerait publier plus de littérature contemporaine, donner leur chance à des auteurs émergents issus de la population dans son ensemble, mais nous sommes une petite maison, et nous gagnons notre vie en tant qu’auteurs, alors nous progressons très lentement. Nous voulons représenter une autre tradition, un pan de la littérature anglaise qui a été marginalisée.

Dans The Liberal Politics of Adolf Hitler, l’internet est devenu l’InterZone, un gigantesque réseau social où tout le monde partage la même information au même moment. L’internet n’est-il pas aussi un vaste espace de liberté et de démocratie ?

L’internet est un miracle de la science, où chacun peut, en théorie, contourner les régulateurs. Mais il y a des aspects négatifs. Je pense que c’est simplement une question de temps avant qu’il ne soit taxé et gagné par la surveillance intrusive. C’est déjà le cas, comme on le sait, et si on associe à l’internet une image décontractée, jeans et baskets, les compagnies qui le dirigent brassent des milliards de dollars.

Peut-être faut-il distinguer deux domaines : les opinions et l’information. Toute opinion imaginable peut s’exprimer, mais avec les followers de Twitter et les amis de Facebook, avoir un point de vue différent peut mener à se faire insulter d’une manière qui n’arriverait jamais dans la vie réelle. Des individus peuvent être détruits, et pas seulement par des trolls. Les gens ont peur de dire ce qu’ils pensent. Ainsi, on est plus connectés, et d’une certaine façon plus limités.

Quant à l’information, comment savoir ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas ? Des histoires peuvent être inventées, mises en circulation et considérées comme la vérité. Il semblerait que cela se soit passé sur une large échelle pendant les élections américaines. Je me suis emparé de cette idée dans The Liberal Politics of Adolf Hitler, pour montrer une société où les points de vue officiels sont pris pour argent comptant et où tout type d’argumentation est éliminé sous la pression des autres et le besoin d’auto-préservation de chacun.

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« L’intimité était suspecte. » La technologie permet une effrayante surveillance. La terreur est diffuse mais réelle. Tout le monde épie tout le monde. N’importe qui peut être un délateur et appeler les unités Cool ou Hardcore. (Et si je me souviens bien, Londres a été une des premières grandes villes à installer des caméras.) Penses-tu que les gens sont prêts à sacrifier leur liberté au profit de leur sécurité ?

L’idée que les caméras de surveillance puissent arrêter le crime, ou au moins localiser les criminels, est très attrayante. Je pense que la plupart des gens ont tendance à accepter ça comme étant une bonne chose. Mais il faut qu’il y ait une limite. Dès qu’on accepte les caméras, les limites sont dépassées, et c’est encore plus sournois et intrusif avec les ordinateurs et les téléphones portables. ça a conduit à un changement des mentalités. Les gens sont filmés, embarrassés, humiliés sur internet. Ils sont de plus en plus suivis, surveillés à travers leurs appareils. L’intimité n’est plus respectée comme elle l’était auparavant, il y a des espions, des délateurs partout, qui n’attendent qu’à propager des ragots, qu’à dénoncer les gens pour les plus insignifiants des « crimes ». ça devient de plus en plus mesquin. Bientôt, il n’y aura plus nulle part où se cacher, et ça pourrait devenir aussi grave que la privation de sommeil, qui sait. Les gens ont besoin d’intimité, de garder un peu de leurs secrets, ils ne peuvent pas être sur leurs gardes toutes les secondes de leur vie. Sinon, ils vont devenir dingues. Est-ce qu’on peut fonctionner en tant qu’individus si on ne peut jamais se détendre ? On a besoin d’intimité.

Les gens ne se complaisent-ils pas dans une forme de servitude volontaire ? Personne ne nous force à aller au Starbucks ou au MacDo plutôt qu’au pub (dans le roman, les Bons Européens vont au Tenderburger manger du panda). On ne nous oblige pas à acheter le dernier objet connecté ou à regarder des programmes télé débiles.

La plupart d’entre nous veulent une vie facile. Les dictateurs du futur sauront exploiter cette faille, j’en suis certain. Pourquoi faire souffrir les gens et les forcer à lutter contre vous ? Les leaders modernes ne seront pas des idéologues comme l’étaient Hitler et Staline. Les gens voudront les jouets et accepteront d’en payer le prix. Une version remixée de « Sixteen Tons » de Tennessee Ernie Ford (Ndr : chanson américaine de 1955 qui parle des conditions de vie des mineurs de fond, payés en bons d’achat utilisables uniquement dans les magasins de la compagnie qui les employait) sera la musique d’ambiance de tous les centres commerciaux du monde. Plus de souffrance physique mais une pression énorme pour continuer à trimer.

« Regarde ce qui se passe dans le monde, nous sommes capables de justifier les pires crimes. Nous pensons tous avoir raison. Les humains sont aveugles et destructeurs. Plus vite nous disparaîtrons, mieux ce sera pour la planète. »

Rupert, ton personnage de bureaucrate, est une sorte de libertarien. En tant que Bon Européen, il est encouragé à être cruel envers les animaux, à avoir des relations avec des femmes africaines, déportées et éduquées pour son plaisir sexuel. Il n’y a plus de valeurs « morales » dans l’EUE. Ceux qui ont le pouvoir peuvent faire ce qu’ils veulent. Sont-ils encore humains ?

Ils sont humains. Les humains peuvent tout justifier pour excuser leur comportement. C’est ce que fait Rupert en ce qui concerne les animaux et les femmes. Mais il est soutenu par ceux qui l’entourent, ce qui est essentiel. Il se voit lui-même comme étant très moral, bien plus que les Communs. Mais les questions morales sont différentes selon les gens, les sociétés, non ? Les exemples de cruauté envers les animaux et d’exploitation féminine sont cachés derrière l’étiquette « liberté de choix », et encore une fois, c’est ce qui se passe de nos jours. Ces carriéristes du futur ne font que pousser un peu plus loin ce que nous faisons aujourd’hui. Il y a des gens, ici, en Grande-Bretagne, et sûrement ailleurs, qui veulent montrer le mécanisme de l’abattage des animaux, afin d’être « honnêtes » sur la provenance de la viande, pour ensuite justifier le massacre comme étant « humain » et « nécessaire », et surtout comme étant un libre choix – un libre choix que nous faisons. C’est la même chose en ce qui concerne la prostitution et la pornographie. Ces gens-là pensent être de grands moralistes. Regarde ce qui se passe dans le monde, nous sommes capables de justifier les pires crimes. Nous pensons tous avoir raison. Les humains sont aveugles et destructeurs. Plus vite nous disparaîtrons, mieux ce sera pour la planète.

Il y a de nombreuses références à trois romans majeurs dans The Liberal Politics of Adolf Hitler, 1984 de George Orwell, Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley et Fahrenheit 451 de Ray Bradbury. Voulais-tu leur rendre hommage ou penses-tu que la fiction est plus efficace que le pamphlet comme lanceur d’alerte ?

La fiction est une excellente façon de faire passer des idées car elle offre une liberté impossible ailleurs. A certains égards, The Liberal Politics of Adolf Hitler est un hommage à ces auteurs. Les livres que tu cites m’ont beaucoup inspiré quand je les ai lus la première fois, mais plus que tout, je trouve qu’ils reflètent la plupart des choses qui se passent aujourd’hui. La technologie est différente, et aucun d’entre eux n’avait prédit l’internet et la numérisation, et c’est peut-être la raison pour laquelle ils sont un peu oubliés maintenant, et pourtant le double langage orwellien, la manipulation génétique chez Huxley et la destruction par le feu des livres et des idées chez Bradbury sont des trouvailles toutes parfaitement pertinentes en 2016.

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The Liberal Politics of Adolf Hitler est très proche de 1984 dans sa narration (il est écrit au passé, les personnages personnifient leur fonction, il y a création d’une Novlangue, d’un univers effrayant), mais j’y vois plus d’ironie. Contrôleur Horace est très cynique et parfois très drôle, comme lorsqu’il affirme que « le meilleur Européen était ennuyeux, et conventionnel, et prêt à obéir à n’importe quel ordre. » Ton livre est moins désespéré, non ?

J’ai beaucoup ri en écrivant ce roman, souvent en jouant avec le langage, en montrant les aveuglements dont sont victimes des personnages comme Contrôleur Horace ou Rupert Ronsberger, et le reconditionnement de la culture m’a donné de bonnes raisons de rigoler aussi. J’espère que les gens saisiront l’humour. Alors oui, il est moins désespéré, il emprunte plus à la satire par moments.

Je suppose que c’est le reflet des époques différentes. Orwell l’a écrit peu de temps après la fin de la seconde guerre mondiale, et le monde qu’il a imaginé est enraciné dans cette horreur, alors que The Liberal Politics of Adolf Hitler reflète la vie en 2016, qui est beaucoup plus facile. Ceux qui veulent nous priver de nos droits sont plus susceptibles d’être sans nom et sans visage, leurs actions nous sont promues comme des avancées morales, et il est facile d’accepter leur propagande. Peut-être que la vérité est trop dure à admettre. Le parallèle peut être fait avec le refus des gens de se confronter à la réalité de l’industrie de la viande.

En lisant les descriptions des villes de l’EUE, j’avais l’impression d’être dans le Village du Prisonnier de Patrick McGoohan. Tout est lisse, propre. Tout semble parfait mais vous ne pouvez pas vous échapper et vous ne savez pas pourquoi vous êtes là. Tu aimais cette série télé ?

J’étais très jeune quand elle est passée la première fois, mais j’ai vu des épisodes depuis et je vois bien quelles comparaisons on peut faire, la psychologie, la folie, quelque chose de kafkaïen. Mais j’avais plus en tête Metropolis ou le Truman Show, avec les dômes de la Potzdamer Platz agrandis pour créer les Portes de l’est. Avec un monde à la Orange mécanique juste là, dehors. J’aurais pu y ajouter la tour Trump comme image de la Tour Nacrée (Ndr : Contrôleur Horace vit au sommet de la Tour Nacrée, dans un appartement de grand luxe, à Bruxelles) après les élections américaines.

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Comment ton livre a-t-il été perçu en Angleterre ? Tu étais pour le Brexit, mais très éloigné des idées du UKIP sous bien des aspects. N’as-tu pas craint les amalgames ?

Je pense que Nigel Farage et le UKIP ont raison à propos de l’UE. Sans eux, il n’y aurait pas eu de referendum et ça aurait été un désastre pour la Grande-Bretagne. Mais je ne suis pas d’accord avec eux au sujet de la politique intérieure et de leur attention excessive portée à l’immigration. Je n’ai pas peur des amalgames. Il y a des personnes de tous les partis qui ont voté pour quitter l’UE, dont un nombre conséquent de socialistes et d’anarchistes. Le vote pour l’indépendance a traversé les courants. J’ai le sentiment que si le scrutin se tenait demain, la victoire serait encore plus écrasante. Peu de ceux qui ont voté pour le maintien sont pro-UE. Beaucoup ont été influencés par la peur d’un effondrement économique, qui ne s’est pas produit, ou éprouvaient un malaise face à cette focalisation sur l’immigration. Malgré les mensonges du gouvernement, le pays n’est pas divisé.

Je sais que le futur n’est pas écrit, mais ne te fait-il pas du tout peur ? Tu as une confiance absolue en la sagesse de ton peuple ?

J’ai moins peur que si on avait voté pour rester dans l’UE. Si on avait choisi de se maintenir, on aurait légué de plus en plus de pouvoir à Bruxelles, on aurait gaspillé beaucoup d’argent là-dedans, et au final, on aurait fini par passer à l’euro. Je ne veux pas assister à la dissolution de l’Angleterre et de la Grande-Bretagne, et c’est ce qu’il se serait passé en fin de compte – et c’est toujours possible, l’establishment ici fera tout son possible pour ne pas respecter le vote. Je n’ai aucune confiance en notre classe politique pour donner suite au referendum.

Nous avons beaucoup de chance de ne pas faire partie de la monnaie unique. ça signifie que nous pouvons partir relativement facilement. Ce qui n’est pas le cas pour ceux qui sont dans la zone euro. La plupart des gens avec qui j’ai discuté sur le continent ont l’air d’être assommés, comme s’ils avaient laissé tomber. C’est l’impression que j’ai ressentie en parlant avec des amis en France, Grèce, Croatie, Allemagne. Quand la France se rebellera, parce que je suis sûre qu’elle le fera, elle devra affronter de gros problèmes, auxquels nous n’avons pas à faire face. J’ai plus peur pour les Français ou les Grecs que pour les Britanniques.

Dans ton Angleterre Libre, les gens lisent et écoutent du punk rock, ils vont au pub, ils chantent et boivent ensemble, ils ne mangent pas d’animaux et sont proches de la nature, ils sont non-violents mais résistent, ils ont des émotions. Si Heartland est ton enfer, est-ce que l’Angleterre Libre est ton paradis, ton utopie (si l’on excepte qu’ils vivent dans la peur) ? As-tu peur que ce paradis, cette Angleterre que tu aimes, ne soit en train de mourir ? Es-tu mélancolique par anticipation ?

Je ne pense pas qu’une société utopique soit possible, mais je suppose que j’en ai créé une version personnelle d’une certaine façon. Il y a une forme de patriotisme doux qui s’accorde bien avec une politique écologiste et le véganisme, avec des brins d’une pensée venue de l’est combinée à un paganisme local et au socialisme de la chrétienté. J’ai aussi relié les corps anarchistes du Conflit et des SousHumains au punk, et les gars du Wessex et le GB45 plus à une tradition Oï. J’aime des groupes issus de ces deux tendances, ils ont beaucoup en commun. D’aucuns désapprouveront, mais peut-être que mon cerveau fonctionne différemment.

L’Angleterre n’est pas en train de mourir. Elle évolue. Et c’est naturel. Mais c’est mieux d’évoluer selon la volonté du peuple, et de ne pas se plier aux directives des hommes d’affaires et des banquiers, des types qui, à l’autre bout du monde, considèrent Londres comme une opportunité d’investissement. La destruction de Londres et de sa culture est très triste, mais je reste optimiste. J’ai ressenti de l’exaltation alors que le soleil passait sur les toits et que le vote pour quitter l’UE était confirmé. Un frisson m’est passé sur la peau. ça a été l’un des plus beaux jours de ma vie.

Interview en partie publiée dans New Noise n°37 – janvier-février 2017

John King : second interview (english version)

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Photo : Jaimie MacDonald
In your latest novel, a dystopia, there are no more countries in Europe, but a supranational State, the United State of Europe, run by a technocratic elite. Crats, Bureaus, Controllers are at the service of the centralised power based in Brussels and Berlin. In this New Democracy, “there is no more need for elections.” The Good Europeans are happy to respect the rules. Those who have incorrect ideas, the Commons, are considered as terrorists and must be monitored and repressed. As written on the back cover, « while set in the future, the book is very much about the here and now ». Do you really think that the Europeans live in a travesty of democracy, and that the EU is leading us to dictatorship?

I don’t think it’s that bad yet, but I do believe democracy is being eroded, and at a national level we have seen our elites transferring sovereignty to Brussels. There will always be people and organisations that want to control society, and while we have easy credit and a level of material prosperity, it would be a mistake to think this is no longer true. And so I do feel the EU could become a dictatorship one day, yes, but it would be very different to those we have seen in the past.

We are not talking about screaming leaders and marching soldiers and blitzkrieg invasions. It would be more subtle and longer lasting, achieved through the manipulation of law and a clever use of the internet, the slow brainwashing of populations as history is rewritten and a liberal veneer applied.

They say that the real strength of a totalitarian system is in its bureaucracy rather than its army, and I think of the brilliant novel Alone In Berlin, by Hans Fallada, the fear that the main characters feel, living in a society where nobody dares say what they think, as they are surrounded by informers. I always have George Orwell’s Nineteen Eighty-Four and the ‘power of the proles’ in my mind, where the only hope rests in the people, the potential strength of the masses if only they could unite. In these books, information is controlled and news distorted. What is true and what is not?

The EU’s mission to create a superstate has been played out across the generations, and for decades this slow-motion coup went on in the background, with anyone who questioned it insulted and smeared. But the EU is only a part of something bigger – globalisation, world government, the ever-increasing power of the banks and multinationals, the exploitation of the internet and new technologies.

Isn’t there a kind of provocation in the title you chose The Liberal Politics of Adolf Hitler, a kind of punk provocation?

The title is an absurdity, reflects the extent to which history has been distorted in the era of New Democracy. Hopefully people will only think about it for a few seconds before they move on from the literal meaning. It is doublespeak. Triplespeak even. Again, it matches the way language is warped in the novel. I didn’t think of it as a provocation, but you are right, and there are a lot of punk connections made in the book. As The Clash sang in White Man In Hammersmith Palais: ‘If Adolf Hitler flew in today, they’d send a limousine anyway.’

What unites the Good Europeans is uniformity, conformity, nothing but vacuum. They all think the same, eat the same. Do you consider that the EU denies the specificities, the identities of the different countries?

There has always been that element in society, but it has got bigger, become more accepted and influential. The novel takes things further, to the extent that the thoughts of these Good Europeans are self-censored, an extension of so-called political correctness, which can be stifling and destructive when language and behaviour is misunderstood. I believe in free speech and free thought, but I can see how the first of these at least is being attacked. If you obey the rules you will be rewarded… That is not new.

With regards the EU, what we see today is different to what we will see in a year’s time. It is becoming stronger, dominating national governments, looking to expand its borders, building an empire and thinking about forming an army. Eventually, it has to homogenise the cultures of Europe and create a single identity. It already has a flag, anthem, legislature, paramilitary force. It likes the idea of a giant theme-park full of tourist attractions, but does not want strong local feelings, as these threaten the success of The Project.

In the USE, new rules and regulations are constantly promulgated, rules that can’t be discussed, or understood, by the people. Because « change was good. Change meant progress ». The technos use new words to create new ideas, new absurd concepts. Is it easier to be obeyed when you’re not understood?

Simple feelgood slogans in public, complex and hidden regulations behind the scenes… Undemocratic law-making works its magic.  The idea that all change is good suits business as it means everything has to be replaced, which in turn increases profits. It is perpetual revolution for capitalists and a handy tool to force more debt and through that control on people. The truth is that some change is positive, some change is negative, and we need a balance, but at the moment people are branded backward-looking or nostalgic for trying to preserve or questions things. We see it in ever-changing gadgets and the weight of new regulations, and on a larger scale the disruption of communities through the lust for land and  property and privatisation.

How did you create that Newspeak, that new language, very efficient in your novel? Was it funny to do that?

It developed as I was writing the book, happened naturally, by using words and warping their meaning, adding some childish terms, a sort of ‘baby-talk’ in places, taking to extremes the way language is manipulated today. It was a lot of fun to do. Adding distortion and feedback and turning up the volume like King Tubby! But through words rather than sound.

In your world, History is rewritten. The heroes are the unifiers (Stalin, Hitler, Merkel, Napoleon…) whereas Churchill, for instance, was “a drunkard and a gangster, he was bitterly opposed to unification. He rejected the advances of men such as Controller Adolf and Controller Joe.” Good Europeans are convinced that “there has never been an England. It is a myth.” What’s the importance of History in the building of the future?

There are histories passed down through families and communities, and there are official histories. Both are open to distortion, whether accidental or intentional, and we interpret events according to our own beliefs, but at the state level there are other factors involved. History is essential to building the future, in my opinion. Those with power and wealth and a stake in the EU were furious at Leave voters in the aftermath of the EU referendum here in Britain. They say we are uneducated, stupid, confused, racist, too old. They just can’t accept the people’s view of history, their interpretation of events and sense of identity.

My novel White Trash looked at these same prejudices, the division between those with power and those without. The accusation that older people were somehow selfish and cruel for voting to leave the EU is revealing. The Remain campaign insisted that leaving the EU was somehow backward and inward looking, but this is not how the majority saw things. Voting for independence was all about the future, wanting to be free of an undemocratic system, looking to engage with the wider world. Older people were less afraid than the young, as they have seen the EU evolve, know its history and where it is going.

Where are the young going to hear the most honest history? From their families and communities, or from a government that is in bed with the banks and multinationals, a collection of careerists working for their own rewards? These attempts to turn families against each other, to divide young and old, is a disgrace.

A Free England, far from Heartland, still exists. These locals are seen as under-educated and dangerous by Good Europeans. « The Commons could never be left to their own devices. » Is this a version of the elite versus the people, as in true life?

Yes, and we see this beyond England, and it goes back through time. The kings and queens of the past, who intermarried and controlled Europe, have been replaced by an international set that preaches liberal values but does not live them. They share the same elitist culture of past royals and landowners, have a similar distaste for the masses. It is the same in France I am sure, and across Europe and the rest of the world.

Concerning the kings and queens, what do you think about the monarchy in the UK? doesn’t this system cost you a lot of money?

I think most people here like the queen. It might seem like a contradiction to some of my other views, and really it is, but I am not anti-monarchist and wouldn’t like to see it disbanded. I don’t feel subservient, feel they have no political power, represent a tradition and are a focal point for our country when it is being threatened. I don’t care about the wider monarchy though, the land-owners and all the rest of them.

There is a continuity many people like about the queen, as she has lived through so many stages of our modern history, but I don’t know what will happen when she dies. The royals do cost a lot of money, but the argument is that they pull in more through tourism. People say it would change society if we no longer had a king or queen, that we could have a president like other countries, but who would we get? Tony Blair? Nick Clegg? Sir Bob Geldof? I would much rather have Queen Elizabeth. I am pretty sure Johnny Rotten loves the queen as well.

One of your character in Free England says : « The old Saxon burr of the Southern and Eastern shires had been insulted for centuries by the Latin – and French-loving aristocracy, the Europeanised rulers of the pre-bubblehead days driving a racial prejudice that still persisted. » Do you feel that?

Yes. There is a big division in the English language, as well as the accents. It is the difference between ‘fuck’ and ‘copulate’ – one is a swear word and the other is ‘proper’ English. The monarchy and upper-class was often foreign / international, interbred and even spoke a different language to the masses. The natives were seen as low class and ignorant, as were their customs and culture. That is still true today.

European culture has always been prized as more sophisticated by the rich of this country, and when a new middle-class evolved it followed the pattern as they mimicked the upper-class. This brings us back to the European Union and the division between the feelings of the masses and the drives of the rich and those with power. It is a very old prejudice being replayed. Again, it is stripped bare in The Liberal Politics Of Adolf Hitler.

For you, the only way for people to recover their identity, to fight against the contempt of the elite, to be free, is to leave the EU? Brexit cannot be an end in itself…

It is not the only way, and voting to leave is not an end in itself, but it is a start, and it will certainly help us to preserve our identity. The vote to leave the EU was a major defeat for the elite, but they are still here, and the battle now is to make sure there is a proper Brexit, as they will do everything they can to not honour the decision. This involves leaving the ‘single market’ and customs union, and if we achieve this, the domestic battle will be over the nature of the society we build in the future. That never changes. But staying in the EU would have been a disaster. Half-leaving would be little better.

In your Free villages, people are quite self-sufficient. Values such as solidarity, friendship, respect of the elders are not empty words. Is localism the solution?

The Liberal Politics Of Adolf Hitler is a very green novel. It is all about localism. The decentralisation of power. People working for each other, beyond the profit motive.

As countries do not exist any more in the USE, and rebels fight for the defense of the English nation, is localism a form of patriotism in your novel?

I try to link localism and patriotism in the novel, as they are the same thing in many ways, even if expressed differently. That is maybe a provocation for some people, especially in some left-leaning and green and liberal circles, as any display of patriotism is seen as right-wing and evil. I think it is positive that people are cautious, but that reaction can also become bigoted in its own right. By seeing the common ground it is possible to bring people together. So yes, patriotism is localism and localism could be patriotic.

During the referendum campaign, people who were for leaving the EU have been accused of racism, which made you very angry. You use that formula in your book. The Commons are supposed to be racists, and « Racists questioned the centralisation of power. « Can you explain us?

It is easy to brand someone a racist or a fascist in order to shut down an argument. There are racists who voted to leave the EU, and there are racists who voted to remain I am sure, and the media focus on immigration was a way of distracting from the important issues. The other area of ‘debate’ was trade. That was it. There was hardly any discussion of where the EU is heading. It became a TV spectacle with politicians shouting at each other. For me and most people I know it has always been about the loss of democracy, identity, the corporate nature of the EU. But these ‘racist’ and ‘fascist’ smears have been around for decades.

I think those who throw the terms about so loosely are cheapening their meaning.

The EU is not to be blamed for all evils, though. England itself, and all its governments from at least the 80’s, are guilty of contempt towards its people, and proletarians suffered a lot with laws on the NHS, the railways, the education, the trade-unions, the employment contracts… When you write about the USE : « Love flowed when credit was available and profits increased », isn’t it a good definition of capitalistic Britain?

Definitely. The British establishment and the EU establishment can’t be separated. They are the same people. UK governments have looked to change the NHS, privatised the railways and other core industries, attacked the unions, and this is what the EU is doing on a larger scale. The British state took us into EU and kept us there and campaigned to remain during the referendum. It handed over sovereignty and billions of pounds of taxpayers money and betrayed the people. To fight back against the ‘liberalisation’ of the NHS and renationalise the railways, protect wages through the control of labour, well, we have to be outside the EU as it laws and directives oppose such moves, but we also need a change of government. We would benefit from a new sort of politics, and this seems to be happening. You don’t have to agree with them, but the success of the SNP and UKIP, the changes within Labour, are all big shifts. Rejecting the Brussels elite was the same as rejecting the British elite.

Doesn’t the elite of a country include also the intellectuals, the writers, the scientists, the poets…? Do those people have to be rejected like those who have the money and the power?

It’s down to definitions really, and the term is loaded, whether we are seeing the elite as elitist, but these people you mention should really be separate. If anything, you’d hope that writers and poets and philosophers are far removed from the elite, so that they can question things properly, but there is a system that takes people from these and other fields and controls them through financial rewards and honours. Not so much with science, but culture.  Universities are there to channel thought, to control and redirect it, and that in turn links into the elite – in my opinion. If you obey and fall into line, life is a lot easier.

Who decides who is the best in a specific field? There is a canon in literature, for instance, but that is decided by a professional class that imposes rules and even censorship. But we shouldn’t reject anyone for their background or their wealth, but listen to what they say and work out what they believe. You can be born into an elite, but rebel as well. We have to be fair.

Wasn’t the EU a beautiful idea at the beginning? Wasn’t its aim to unite people and stop wars?  If not, why did they build it? And why is the elite still so committed to this idea?

The idea to create a single European state goes back much further than the Second World War, though the need to stop future conflicts between Germany and France was clearly important. But it was the US military and NATO that preserved the peace. Maybe that is why so many European governments have been negative towards the US over the years. The same applies to Britain and Russia. Do someone a favour and they never forgive you…

There were idealists involved in the formation of the EU, I would never deny that, and there are now as well, but as someone who wants England and Britain to not be broken into regions of a European empire I reject it, and I also reject it for its political leanings.

There is another argument that says the EU was created to limit the social gains made after the end of the Second World War, to protect capitalism and the Western elites. Others say it has fascist foundations. The Nazis were white supremacists more than nationalists. They wanted to build a European superstate, but were defeated by patriots who fought to save their cultures as expressed through the nation state. We fought to save Britain, the French Resistance and Free French fought to save France, the Russians fought to save Russia, not communism. They call it the Great Patriotic War. There are a lot of different views on the origins of the EU, and I don’t think it is wrong to consider them.

In your novel, all the Good Europeans share the same culture, a kind of watered-down remixed culture. They listen to soft versions of Abba, The Rubbettes or Jean Rotten. Physical books or records are prohibited. Are technology and digitisation dangerous?

Technology isn’t dangerous, but the way it’s used can be. In the book, digitisation has been enforced as a means of social control. Humans evolved ways of passing information on to future generations, tried to beat death and time and share their experiences and knowledge, but digital versions of books, films, photos, history only exist in cyberspace. By accident or on purpose, history could be lost if there are no physical records.

To publish physical books and defend english literature, is that why you’ve created London Books?

We started London Books because there were these old London novels that we thought deserved to be in print, and while I tried to interest a couple of publishers, there was no reaction, and so we started to put them out ourselves under the London Classics imprint. I edit the London Classics and our aim is to produce a series that reflect a forgotten – and I believe dismissed – literature that is socially aware and for the most part based in and around working-class London. It is another view of the city. And if we had the resources we would like to print more new fiction, give a chance to emerging writers from the wider population, but we are small and our main work is as authors, so progress is very slow. We want to represent another tradition, a strand of English literature that has been marginalised.

In your novel, he internet has moved into InterZone, a large social network where everybody shares the same information at the same time. Isn’t the internet also a big space for freedom and democracy?

The internet is a miracle of science, means everyone can in theory bypass the controllers, but there are negatives, and I think it is only a matter of time before it is taxed and more intrusive surveillance is brought in. It is already happening, as we know, and while there is a casual jeans-and-trainers image applied to the internet, the companies driving it are billion-dollar concerns.

Maybe there are two areas to think about – opinions and news/information. Every opinion imaginable is out there, but with the ‘following’ of twitter and the ‘friends’ of facebook, holding a different view can see person insulted in a way that would never happen in real life. Individuals can be destroyed, and not just by trolls. People are scared to say what they think. So we are more connected, but in a way more restricted.

When it comes to information, how do we know what is true and what is not? Stories can be invented and circulated and accepted as truth, which seems to have happened on a large scale during the American election. I have taken this on in The Liberal Politics Of Adolf Hitler, shown a society where official views are accepted and any sort of argument has been removed through peer pressure and self-preservation.

« Privacy was suspect. » The technology allows a frightening surveillance. Terror is diffuse but real. Everybody is watching you, can be an informer and call the Cool or Hardcore Units. (and If I remember well, London was one of the first major cities to install security cameras). Do you think people are ready to sacrifice their freedom for their security?

There is a lot of appeal in the ability of surveillance cameras to stop crime, or at least track down those responsible, and I think most people tend to accept that as a good thing. But there has to be a limit. Once the cameras are accepted, then the boundary is pushed, and it is much more devious and intrusive inside computers and mobile phones. This has led to a change in mentality. People are filmed and embarrassed and shamed on the internet. They are increasingly tracked and monitored through their devices.

Privacy is no longer respected in the way it used to be, and there are spies and informers everywhere, waiting to tell tales, keen to brand people for the smallest of ‘crimes’. It is becoming more and more petty. Soon there will be nowhere to hide and it could be similar to sleep deprivation maybe. People need privacy and some secrecy and can’t be on guard every second of their lives. They will go mad. Can we still function as individuals if we can never relax? We need privacy.

Don’t people take pleasure in a voluntary servitude? Nobody is forced to go to Starbucks or MacDonald’s instead of pubs, or obliged to buy the latest connected gadget, or watch stupid TV programs.

Most of us like an easy life. The dictators of the future will exploit this, I am sure. Why make people suffer and force them to fight you? The modern leaders will not be ideologues in the same way as Hitler and Stalin. People will want the toys and accept the debt. A remixed version of Sixteen Tons by Tennessee Ernie Ford is going to play the shopping malls of the world. None of the physical hardship, but lots of pressure to keep working.

Rupert is a kind oh a libertarian. As a Good European, he is encouraged to be cruel with animals, to have sex with dates who come from Africa and have been deported, educated for his sexual pleasure. There are no more « moral » values in the USE. Those who have the power can do anything. Are they human anymore?

They are human, because humans can justify anything to excuse their behaviour, and that is what Rupert does when it comes to animals and dates, but he is backed up by those around him, which is essential. He sees himself as very moral, and more so than the commons, and really, people’s morals vary, don’t they, and between different societies as well. Those examples of animal cruelty and the exploitation of women are hidden behind the label ‘freedom of choice’, and again that is the same today.

These careerists of the future are only taking what we have now and moving it on. There are some people here in Britain, and probably elsewhere, who want to show the mechanics of animal slaughter, to be ‘honest’ about where meat comes from, and then to justify the killing as ‘humane’ and ‘necessary’, and above all as free choice – a free choice we make. The same applies to prostitution and pornography. They feel they are great moralists. Look across the world and we can justify the worst crimes. We all feel we are right. Humans are self-deceiving and destructive. The sooner we die out, the better for the planet.

There are lots of references to three major novels in The Liberal Politics of Adolf Hitler, George Orwell’s Nineteen Eighty-Four, Aldous Huxley’s Brave New World and Ray Bradbury’s Fahrenheit 451. Did you want to pay tribute to them or do you think that fiction is more effective than pamphlet as whistle-blower?

Fiction is a great way to get ideas across as it offers a freedom non-fiction does not. It can feel much more personal and immediate. The Liberal Politics Of Adolf Hitler is a tribute to those authors in some ways. The books you mention were inspiring when I first read them, but more than anything I feel they reflect much of what is happening today. The technology is different, as none of them predicted the internet and digitisation, and maybe they are overlooked a little now for that reason, and yet Orwellian doublespeak and Huxley’s genetic engineering and Bradbury’s burning of books and ideas are all totally relevant to 2016.

The Liberal Politics of Adolf Hitler is very near 1984 in the narration (it is written in the past, the characters embody their functions, there is a creation of a Newspeak, of a frightening world) but I see more irony in it. Controller Horace is very cynical (« The best European was boring and conventional and ready to obey every order ») and sometimes very funny. Your book is less desperate, isn’t it?

I did laugh a lot when I was writing this book, often when playing with language, showing the self-deceptions of characters such as Controller Horace and Rupert Ronsberger, but the repackaging of culture meant I could have fun there as well. I hope people get the humour, and yes, it is less desperate than Nineteen Eighty-Four, more of a satire in places.

I suppose this reflects the different eras, as Orwell was writing shortly after the end of the Second World War, and the world he imagined was rooted in that horror, while The Liberal Politics Of Adolf Hitler reflects life in 2016, which is much easier. Those who want to strip back our rights are more likely to be faceless and nameless, their actions marketed as moral advancements, and it is easy to accept the propaganda. Maybe the reality is too terrible to admit. A parallel is there in people’s refusal to confront the meat industry.

As I read the description of the cities in the USE, I felt like I was in the Village of Patrick McGoohan’s The Prisoner. Everything is clean, fine but it is impossible to escape, and you don’t know why you’re here. Did you like that television series?

I was very young when it was first shown, but I have seen episodes since and can see the comparisons, the psychology and the madness, like something from Franz Kafka. Maybe I had the likes of Metropolis and The Truman Show in my head more, the Potzdamer Platz domes in Berlin enlarged for the East Side Gates. A Clockwork Orange world just outside. I could add Trump Tower as Pearly Tower after the American election.

How has your book been received in England? You were for Brexit but far from the UKIP ideas in many ways. Didn’t you fear the confusion?

I think Nigel Farage and UKIP are right about the EU, and without them there would have been no referendum, and Britain would have faced disaster, but I don’t agree with their domestic policies or the excessive focus on immigration. I don’t fear confusion. There are people from every party who voted to leave the EU, with big numbers of socialists and anarchists among them. The independence vote crossed over. My feeling is that if the vote was held tomorrow, the victory would be much greater. Few who voted to stay in the EU are pro-EU. Many were swayed by fears of an economic collapse, which has not happened, as well as an unease over the focus on immigration. Despite establishment lies, the country does not feel divided. At least not in terms of numbers.

I know that the future is unwritten but aren’t you afraid of it? Do you have absolute confidence in your people’s wisdom?

I feel less afraid that I would have done if we had voted to stay in the EU. If we had chosen to remain we would have seen more and more power handed to Brussels, more money wasted and, in time, we would have joined the euro. I don’t want to see Britain and England dissolved, and that is what would have happened eventually – and still could, because the establishment here will do everything it can to not honour the vote. I do not trust our political class to deliver on the referendum.

We are very lucky that we are not part of the single currency as it means we can make a relatively easy break. The same cannot be said for those in the eurozone. Most people I have spoken to on the continent seem crushed, as if they have given up. This is my impression talking to friends from France, Greece, Croatia, Germany. When France rebels, as I believe it will, there are going to be huge problems, the sort of things have not had to face. I am more afraid for the likes of France and Greece than I am for Britain.

In your Free England, people read and listen to punk rock, they go to the pub, they sing and drink together, they don’t eat animals and are close to nature, they are non-violent but resist, they have emotions. If Heartland is your hell, is Free England your heaven, your utopia (if we except the fear they live in)? Are you scared that this heaven, the England you love, is dying? Are you melancholic in anticipation?

I don’t think a Utopian society is possible, but I suppose I have created my own version in a way. There is a gentle patriotism that fits with green politics and veganism and strands of Eastern thought combined with a native paganism and the socialism of Christianity. I have punk links in the anarchist bodies Conflict and the Subhumans, while the Wessex Boys and GB45 follow the Oi Oi tradition. I like bands from both these areas, feel they have a great deal in common. Others won’t agree, but maybe my brain is wired up differently.

England isn’t dying. It is evolving. Which is natural. But it is better evolving from the people up, not have its direction shaped by businessmen and bankers, people from the other side of the globe who see London as nothing more than an investment opportunity. The destruction of London and its culture is very sad, but I am an optimist. I was elated as the sun came up over the rooftops and the vote to leave the EU was confirmed. My skin tingled. It was one of the happiest days of my life.

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Interview published in New Noise n°37 – january-february 2017

The Liberal Politics of Adolf Hitler de John King

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Rupert Rosenberg ne se pose pas de questions, il croit et ça le rend heureux. C’est un Bureau, un Crate de niveau B-, mais il sera bientôt A-, puis A+, puis Super, et pourquoi pas un jour Contrôleur ? Il fait son job avec zèle et sa hiérarchie apprécie. Il est un maillon essentiel au développement de la Nouvelle Démocratie. Il œuvre, depuis Londres, pour l’Etat Uni d’Europe, l’EUE. Les pays n’existent plus, les Bons Européens aiment le Nouvel Ordre, les Technos font les lois et ces lois sont justes, elles visent le bonheur, à travers un marché complètement ouvert où les profits sont encouragés. L’EUE a éduqué les masses, tendrement. Il reste des zones dangereuses, insoumises où des individus n’ont pas compris encore la joie qu’ils tireraient à se plier aux règles, des zones où il demeure des degrés inacceptables d’Anglitude, de Britannité, au-delà du Mur. Là-bas, des Locaux, des Communs, des Singes, vivent dans ce qu’ils appellent des Villes Anglaises Libres qui ne sont que des Zones Réactionnaires réfractaires à la culture homogène de Heartland. Comme partout, ils seront bientôt matés, en douceur. Le travail de Rupert ? Analyser les profils de Communs, vérifier que leurs actes ou leurs pensées incorrectes ne mettent pas en péril le pouvoir chéri de Bruxelles ou de Berlin. Sur son terminal, des visages défilent. Les terroristes sont prêts à tout. Sur son ordinateur, il inspecte des fiches signalétiques. Il peut se rendre virtuellement chez les individus suspects. Au moindre doute, il envoie les unités Cool, voire Hardcore, pour de plus amples vérifications. Les brigades sont là pour appliquer la répression si besoin. Et il passe à une autre fiche. Le passé n’a pas d’intérêt, seul le Changement est bon. Le Changement signifie le Progrès. Sur son écran de veille, les portraits des grands unificateurs : Adenauer, César, Charlemagne, Napoléon, Staline, Hitler, Juncker, Merkel. Sa tâche accomplie, il peut se relâcher, aller au Tenderburger manger du kangourou, du panda, se choisir une partenaire pour la soirée, une soumise venue d’Afrique ou d’Asie, sauvée de la barbarie et gracieusement éduquée dans un camp spécial pour assouvir ses plaisirs sexuels.

Horace Starski est Contrôleur. Il habite au sommet de la Tour Monnet, à Bruxelles. Au-dessus de lui, il n’y a que le président de l’EUE. Nommé, comme lui. Pour son mérite, son implication. Les élections n’existent plus. A quoi bon ? On ne peut pas se fier au Peuple pour faire les bons choix. Et le peuple européen en est très heureux. Horace veille à ce que les lois et directives soient appliquées, à ce que les Technos en inventent toujours de nouvelles, parce non seulement le Changement est important, mais aussi la rapidité à laquelle il se produit. La Vérité est un processus qui a besoin de muter, d’émerger sous des formes continuellement renouvelées. Il fait du bon travail. Heartland peut dormir tranquille. Sous leurs dômes de verre, les villes européennes sont protégées. La climatisation est bien réglée, l’air aseptisé. Les animaux sauvages sont éradiqués. A l’extérieur, quelques zones de résistance subsistent, où les racistes remettent en question la centralisation du pouvoir, mais elles seront vite annexées. Les Bons Européens ont compris ce qui est bien pour eux. Avec leurs Paumes, ces terminaux intégrés au creux de leurs mains, ils peuvent déployer dans la seconde toute information suspecte sur l’InterZone, cet immense réseau social. Ils sont leurs propres gardiens. Everybody is watching you. Horace vit dans le luxe. Il en est digne. Il doit partir en mission à Londres. Il n’en a pas envie. Cette ville lui rappelle l’Ancienne Angleterre qu’il a contribué à détruire, elle lui rappelle un ancien amour. Parce qu’il a des souvenirs d’avant. Des souvenirs qui le rendent triste. Il n’aime pas ça.

Kenny Jackson est un Commun, il vit au-delà de la Reading Line, dans un village (encore) anglais. Ici, pas de dôme, pas de climatisation. Le froid mord les visages. Mais il y a le pub, la bière, les amis pour réchauffer les cœurs. Kenny s’est improvisé bibliothécaire. Il collecte les livres qui ont échappé à la destruction. C’est interdit. Comme les vinyles. L’EUE ne tolère que la culture digitalisée, plus facile à contrôler, à recycler. Ici, les gens ont une mémoire. Ils savent la Guerre et leur fierté de l’avoir gagnée. Churchill n’est pas un traître, c’est un héros. Kenny est membre des GB45. Il voudrait reconquérir Londres, dont on l’a chassé enfant. Il risque gros. Il n’y a pas de caméras de surveillance ici, pas d’InterZone, mais peut-être des espions.

Les trois personnages principaux convergent vers Londres.

John King est en colère contre la technocratie et les dérives bureaucratiques de l’Union Européenne, vous l’aurez compris. Et quand il est en colère, il écrit. Un pamphlet ? Non, une fiction, une dystopie féroce. Il crée un monde, il raconte un futur plausible qui emprunte à son maître Orwell son efficacité narrative. Comme dans 1984, le récit se déroule au passé et s’incarne au travers de quelques personnages, avatars de figures qui deviennent emblématiques de leur monde.

Partant du postulat que le véritable pouvoir est à Bruxelles et Berlin, dans les mains des financiers et des bureaucrates, il force le trait et imagine l’univers aseptisé, homogénéisé dans lequel, selon lui, l’UE est en train, sans violence, de précipiter les peuples européens. Il ose et ça fonctionne. Il ose invoquer le nom d’Hitler pour mettre en garde contre un révisionnisme historique et culturel qu’il juge dangereux. L’UE, à coup de décrets et de règles, impose à tous un modèle standardisé, un immense marché où chacun d’entre nous allons acheter les mêmes produits, manger la même malbouffe, vivre la même vie robotique, sans saveur et sans émotion. Il interroge la démocratie. Certaines lois qui régissent notre existence quotidienne ont été édictées d’en haut, de là-bas, sans qu’on nous demande notre avis. Les gouvernements nationaux n’ont aucun pouvoir. Les élections ne servent à rien. Nous nous complaisons, selon lui, dans un simulacre de suffrage universel.

The Liberal Politics of Adolf Hitler se veut un avertissement. Si l’ironie y est plus présente que dans 1984 (Rupert en tenue de soirée, attifé d’un polo rose Lacoste et d’une casquette blanche à la Rubbettes est irrésistible), il n’en est pas moins efficace par le malaise qu’il instille et les nombreuses questions dérangeantes qu’il suscite.

Doit-on tout accepter pour finir par tous se ressembler ? Doit-on parler la même langue, une novlangue vide de sens sous prétexte de mieux se comprendre ? Faut-il se précipiter sur toutes les dernières technologies et se laisser épier, observer sous prétexte de sécurité ?

John King frappe fort, il tabasse même. L’uniformisation de la culture, la gentrification, la négation du passé, tout ça le gonfle sévère. Et que dire du mépris du peuple par les élites, de la cruauté envers les animaux, du double-langage et de cette servitude volontaire dont nous faisons preuve, par flemme et grâce à une propagande savamment instaurée ?

The Liberal Politics of Adolf Hitler oppose deux mondes. Celui, robotique, froid et répressif des villes de l’EUE. Malheur à qui refuse de se conformer, de travailler pour le profit. Et celui des villages dissidents. Là, King donne toute la mesure de son talent. Quand il dépeint l’Angleterre qu’il aime, les pubs, la musique, la littérature, la solidarité, l’amour. Ce monde qu’il a peur de voir disparaître avec les grandes chaînes commerciales, la standardisation des cultures et des paysages. Cette colère qu’il exprime quand on lui nie sa fierté d’être anglais, d’appartenir à un peuple qui a gagné la guerre et veut continuer à boire sa bière dans des pintes.

John King a écrit The Liberal Politics of Adolf Hitler pour dénoncer les excès de la technocratie et convaincre ses contemporains de quitter l’Union Européenne. Il est heureux que le Brexit l’ait emporté. Il n’y aurait donc pas que des adeptes du UKIP dans ce camp ? Il semblerait qu’il existe un courant de pensée en Angleterre dont les médias se sont peu fait le relais, un courant humaniste, qui s’insurge contre le libéralisme outrancier, défend les services publics et les syndicats, croit que les solutions sont à trouver dans le local, veut récupérer sa voix au chapitre.

Quand on lui dit qu’on est triste que l’Angleterre parte de l’UE, King répond qu’elle quitte l’UE, pas l’Europe. Quand on lui dit que c’était une belle idée au départ, pour empêcher les guerres, il répond qu’il y a peu de chance que l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne. Quand on lui demande s’il n’a pas peur de l’avenir, il répond qu’il ne faut pas mésestimer le peuple anglais, sa capacité à se réinventer, à intégrer de nouveaux arrivants et de nouvelles idées, à puiser dans son passé la force de se bâtir un avenir radieux.

Well, the future is unwritten.

The Liberal Politics of Adolf Hitler / John King. London Books, 2016

Human punk de John King

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Eté 1977. Slough, banlieue de Londres.

Trois accords de guitare, riffs hargneux, deux minutes trente de pure adrénaline, le punk rock des Sex Pistols ou des Clash ne s’embarrasse pas de fioritures et de leçons de solfège pour dégommer les Yes et autres Genesis. Les paroles invitent à l’émeute, l’énergie électrise un été torride et Joe, 15 ans, s’éveille à la vie. Le punk l’exalte, le révèle, le trouve : « Et c’est ce qui est génial avec la musique, surtout avec les nouveaux groupes, parce qu’ils mettent en mots tout ce qu’on pense. Comme l’album The Clash. Les chansons, elles résument notre vie. Ce disque, il était déjà là, en nous, il attendait juste que quelqu’un l’écrive. »

Joe est un bon petit gars. Il a des parents, des embrouilles, des espoirs. Il occupe ses journées à cueillir des cerises pour quelques livres afin de pouvoir se payer des disques et les superbes Doc Martens dix œillets dont il rêve. Quelques pintes au pub, il faut bien grandir. Des concerts magiques, tout regarder, tout noter pour ne rien oublier. Un pote avec qui se marrer. La vie, quoi.

L’univers de Joe s’écroule au cours d’une soirée où, lui et son ami Smiles tombent sur une bande de types qui, sous prétexte de se faire des petits punks, les dérouillent et les jettent dans le canal. Smiles est déjà peu gâté par l’existence ; sa mère s’est suicidée quand il était gamin et il est élevé par un père surnommé « Staline » pour ses méthodes d’enseignement. Joe se tire bien physiquement de cette agression, mais Smiles met plus de temps à remonter, plonge dans le coma quelques jours et garde de graves séquelles.

Joe, psychologiquement, s’en remet difficilement. Il passe plusieurs années à se reconstruire. Etouffé par la culpabilité d’avoir mieux résisté que son copain, il s’exile. Il lui faudraé atteindre l’Asie pour se retrouver. A son retour à Londres, il monte son entreprise de disques d’occasion et fait le DJ dans des pubs.

Human punk est Le roman punk et Le roman sur l’adolescence. Il a bouleversé ma vie. Il ne m’a pas quitté depuis sa sortie en France, en 2003, comme s’il avait toujours été là, en moi, et que j’attendais juste que quelqu’un l’écrive. L’annonce de sa réédition prochaine chez Points m’a donné envie de le relire. Le choc est toujours là.

Roman à la sensibilité exacerbée, le trait est délicat, le ton est juste quand il s’agit d’évoquer les émois propres à cet âge qui arrache à l’enfance et fait douloureusement prendre conscience des injustices du monde.

Roman social, presque naturaliste, il raconte aussi l’époque, à travers les yeux du petit punk, témoin des bouleversements qui agitent l’Angleterre de cette fin des 70’s, du début des 80’s : les attentats de l’IRA font des morts ; le National Front gagne du terrain, la gauche se radicalise dans un dernier sursaut avant l’arrivée prochaine de la dame de fer. «Les conservateurs étaient maîtres dans l’art du slogan simple (…) et tapaient chaque fois dans le mille (…) Le parti travailliste se bousillait tout seul en cellules d’étudiants qui enculaient les mouches sur des points de procédure, tandis que la presse conservatrice continuait de vendre ses conneries, exploitant les cibles habituelles, déclarant que des millions partaient en aide aux mères célibataires, aux femmes battues, aux lesbiennes, aux réfugiés, aux héroïnomanes. »

Respect des différences, autodérision, conscience et méfiance politiques, la philosophie punk est noble, loin des clichés rances sur les crêteux décérébrés amateurs de bière tiède et de slogans faciles.

Roman à consonances fortement autobiographiques, comment ne pas entendre John dans les mots de Joe ? : « L’école ne nous apportait rien. Le punk, c’était ça notre éducation, les paroles qui reflétaient ce qu’on vivait, visaient droit dans les choses qu’on voyait, pensait, les noms des gens qui avaient droit à notre respect parce qu’ils écrivaient de l’intérieur sur l’extérieur, et non pas de l’extérieur, comme la plupart du temps. Tout ce que nous offrait l’école, c’était un disque rayé, l’aiguille coincée sur des dates de batailles et des hommes politiques, les têtes de nos seigneurs et maîtres soigneusement reproduites, leurs vêtements richement colorés, écrasant de leurs donjons la lie au-dehors, la masse des paysans tout gris parqués dans des cabanes au-delà des remparts de la ville, des serfs sans visage nourris de navets.(…) C’était si ennuyeux, si hors de la réalité qu’on finissait par croire les profs qui nous disaient qu’on était incapables d’assimiler la culture. »

« Certaines personnes trouvent leurs idées dans les livres, mais pour nous, des gens comme Rotten, Strummer, Pursey et Weller étaient les plus grands auteurs, ceux qui produisaient une littérature qui nous parlait de nos vies. Ils n’avaient besoin de rien contrefaire, d’aucune recherche, ils écrivaient simplement sur ce qui s’agitait en eux, et parlaient à des millions d’autres gens qui ressentaient la même chose. C’étaient des auteurs authentiques, contemporains, ceux qui parlent de la vie de tous les jours, comme on en a si peu eu en Angleterre, des auteurs qui parlaient sous forme de musique parce qu’ils n’avaient jamais songé à le faire sous forme de livre, étant complètement hors de la sphère littéraire, sans aucune des références classiques. Et c’est ça qui les rendait si particuliers, c’est que leurs références étaient les nôtres, elles se trouvaient là, dans nos vies, et non dans la Grèce antique, à des milliers de kilomètres, à des milliers d’années de nous ».

Alors, remercions Rotten, Strummer, Pursey et Weller pour avoir autorisé King à écrire, lui dire qu’il en était capable, qu’il avait en lui cette force qui pousse à être acteur de sa vie en se foutant du qu’en dira-ton, ce refus de rentrer dans le moule, cette rage qui vient du punk et qui ne se renie pas, jamais.

Human Punk / John King. trad. de Alain Defossé. Ed. de l’olivier, 2003

Les malchanceux de Bryan Stanley Johnson / 44 jours : the damned united de David Peace / Football factory de John King

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Tant qu’il y aura du foot… il y aura de bons romans sur le foot.

Dans Football Factory, les héros sont les supporters des diverses équipes londoniennes, des méchants hooligans tels qu’on les voit au journal de 20h. Ca fait mal, très mal un coup de boule de hooligan ! L’écriture est agressive et le propos violent. Enfants dégénérés d’une société britannique sur le point d’imploser, les personnages de John King dérangent parce qu’ils nous renvoient une image qu’on préfèrerait cacher sous le tapis. On ne les aime pas ? Et alors ! Ils sont là quand même. Et si leur seul plaisir c’est d’aller se démonter la tête entre camps adverses, en quoi ça nous gêne ? C’est pas bien ? C’est sûr. En attendant, c’est en gagnant ces combats dérisoires qu’ils se trouvent une place dans une famille, un clan solidaire, avec ses codes, une mini-société qui les acceptent enfin pour ce qu’ils sont.

The damned United, dont Tom Hooper a d’ailleurs tiré un fabuleux film sorti en 2009, raconte le destin de Brian Clough, ancien brillant footballeur, puis brillant entraîneur de Derby, au moment où il prend les commandes de Leeds et a 44 jours pour faire ses preuves. Ou l’Ascension et La chute d’un homme. Les joueurs de Leeds sont habitués aux tricheries, aux pots-de-vin, sont prêts à tous les coups bas pour rester en haut du classement. Brian Clough se heurte, au propre comme au figuré, à l’équipe, résolue à conserver ses privilèges de gagneuse même s’il faut pour cela perdre son âme.

Les malchanceux est un roman extraordinaire. Paru en 1969, écrit pas B.S. Johnson, écrivain surdoué et touche-à-tout qui se suicidera en 1972 à 40 ans, ce court récit est constitué de 27 chapitres qui peuvent être lus (hormis le premier et le dernier) dans n’importe quel ordre. Quidam éditeur a parfaitement respecté ce choix et nous propose un coffret rempli de feuillets non reliés. L’effet est saisissant. On découvre, au fil de notre désir, les pensées intimes du narrateur. L’occasion d’un match de foot pour lequel il doit écrire un papier comme reporter sportif, le ramène dans une ville où il rencontra son meilleur ami, décédé d’un cancer depuis. Ses souvenirs et réflexions sur l’amitié ou l’humanité défilent, dans un désordre qui finit curieusement par trouver une vraie cohérence.

Les malchanceux / Bryan Stanley Johnson. trad. par Françoise Marel. Quidam éditeur, 2009. 44 jours : The damned United / David Peace. trad. de Daniel Lemoine. Rivages, 2008. Football Factory / John King. trad. de l’anglais Alain Defossé. Alpha Bleue. 1998