Noyade de J.P. Smith

Noyade

L’été de ses huit ans, Joey Proctor est envoyé en camp de vacances. Il n’est pas très rassuré de quitter ses parents, d’autant qu’il est censé prendre des leçons de natation et l’eau le terrifie. Ses craintes sont justifiées en la personne d’Alex Mason, son moniteur, merdeux sûr de lui, qui s’est juré que tous ses élèves sauraient nager en fin de séjour. La veille du départ, Alex l’abandonne sur un radeau au milieu du lac, pensant qu’il finirait par rejoindre seul la rive, et l’oublie. Joey ne sera jamais retrouvé.

Vingt ans plus tard, Alex Mason a réussi sa vie. Promoteur immobilier à New York, il brasse des millions, a une belle femme, une belle maison et deux petites filles. Ses méthodes n’ont pas changé, il reste brutal envers ses adversaires, supporte mal qu’on lui résiste. Quand des incidents se multiplient, laissant à penser que quelqu’un désire lui nuire (du sang est versé dans sa piscine, on pénètre chez lui et on le filme dans son sommeil…), il ne repense pas tout de suite à Joey, puis finit par envisager que l’enfant a survécu et qu’il vient se venger.

Thriller classique dans sa forme, avec un suspense augmentant jusqu’à son apogée dans les dernières pages, l’intérêt de Noyade réside dans la personnalité du personnage principal. Insupportable, arrogant, menteur, Alex n’a rien de la pauvre victime pourchassée par un vilain détraqué. On n’éprouve que peu d’empathie pour cet homme qui est parvenu, sans états d’âme, à oublier cette mésaventure passée, ce gamin noyé par sa faute. Il a jusque-là mené son existence sans vraiment se soucier des autres, ni des pauvres qu’il fait expulser, business is business, ni de sa femme qu’il a trompée et blessée souvent. Alors, même si l’on se demande qui lui en veut, si Joey est vraiment revenu le hanter ou si c’est un concurrent qui désire lui faire la peau, on est plutôt heureux d’assister à sa chute, pressé de savoir comment il va périr, conscients dès le début que, comme ce roman sans prétentions démesurées, on l’oubliera vite.

Noyade / J.P. Smith. trad. de Philippe Loubat-Delranc. Gallimard (Série noire), 2020

Trouver l’enfant de Rene Denfeld

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Naomi est une enquêtrice spécialisée dans les cas désespérés, la recherche d’enfants disparus, parfois depuis plusieurs années, que les investigations officielles ont échoué à retrouver.

C’est ainsi qu’elle est engagée par les parents de Madison, perdue ou enlevée lors d’une balade en forêt, dans l’Oregon, trois ans auparavant. La fillette aurait huit ans et peu sont convaincus qu’elle ait pu survivre si longtemps dans une nature hostile, aux hivers particulièrement rudes.

Le lecteur a une longueur d’avance sur Naomi, il sait que la petite est vivante parce que l’auteure lui donne la parole. Le fil de l’intrigue est entrecoupé des pensées de l’enfant, et sa voix est si juste qu’elle est bouleversante. Kidnappée, séquestrée, violentée par un homme mystérieux qui la maintient prisonnière dans une cabane infâme, elle décrit son présent avec des mots simples. Elle n’a aucun recul sur sa situation puisqu’elle s’est construite avec son bourreau pour seule référence, si ce n’est le souvenir d’un conte où il est question d’une fille de la neige à laquelle elle s’identifie. Elle n’a pas de notion de bien ou de mal, aussi, même si l’homme la fait souffrir, il assure sa survie et elle ignore qu’elle ne peut pas l’aimer.

Naomi doute mais reste déterminée. Sans relâche, elle reprend les différentes pistes, interroge de nouveaux témoins potentiels, s’enfonce dans l’enquête comme dans la forêt. Habilement, Rene Denfeld dresse un portrait fouillé de son enquêtrice qui ne peut pas lâcher l’affaire, abandonner Madison. Elle a elle-même été enlevée quand elle était enfant et sa mémoire a effacé de son esprit cet épisode trop douloureux. Au gré des pistes qu’elle suit, Naomi se livre, s’acharne à retrouver Madison autant que son propre passé.

L’écriture est fluide, le récit convaincant. Rene Denfeld ne joue pas sur le pathos, elle n’enfonce pas le clou de l’horreur, préférant la suggestion à la description de scènes sordides. Elle mise sur la finesse, de l’analyse psychologique des protagonistes, du trait détaillant l’environnement social et naturel, et fait de Naomi un personnage profond, attachant, dont elle n’a vraisemblablement pas fini de nous conter l’histoire.

Trouver l’enfant / Rene Denfeld. trad. de Pierre Bondil. Rivages Noir, 2019