Merci L’atelier de litote !

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‘Un livre court et intense qui ne laissera personne insensible au destin du jeune Alb 3, soldat tout juste promu en route pour sa nouvelle mission. Marianne Peyronnet construit son nouveau roman dans un univers post apocalyptique. D’habitude, dans ce genre de roman, l’auteur explore les conséquences d’une catastrophe sur la société et l’environnement, souvent en décrivant un monde où les structures sociales et politiques ont été détruites, où les ressources sont rares et où les personnages luttent pour leur survie. Ce n’est pas tout à fait le cas ici puisque la population est régie par la Matrie qui s’occupe de répondre entièrement à leur besoin. Un univers qui n’est pas sans rappeler le mode social des fourmis mais sans reine. Chacun fait partit d’un tout, l’individu est gommé au profit du collectif qui travaille ensemble pour accomplir les tâches nécessaires à la survie de la colonie. Tous sont prêts à se sacrifier pour le bien de la communauté. C’est dans cet état d’esprit qu’Alb 3 rejoint son unité au Mur. Il doit participer à la défense du Mur contre les hordes des Bêtes. Mais tout ne se passera pas comme prévu et c’est tout l’intérêt du roman. Ce qui devait être sa plus grande fierté s’effondre et Alb 3 perdra ses illusions au profit d’une renaissance qui ne se fera pas sans douleur. C’est toute la question de l’humanité qui se pose, des choix que nous sommes amené à faire pour la survie. Une lecture passionnante sur la résilience, sur le courage et l’abnégation. Un style fluide et un récit écrit à la première personne donne le point de vue du narrateur et apporte au lecteur une implication émotionnelle mais aussi une certaine subjectivité. Le lecteur ne peut connaître que ce que le narrateur connaît, pendant tout le récit on reste focalisé sur le personnage principal et c’est tout bonnement passionnant. Un coup de cœur pour la réussite de ce délicat équilibre qui s’exerce entre la vie en mode Matrie, le possible chaos et une forme de rédemption. Une fin ouverte qui mériterai une suite car je me suis terriblement attachée à Alb 3. Bonne lecture. »

http://latelierdelitote.canalblog.com/archives/2023/05/15/39877574.html

Merci Tasha’s Books !

« Avant tout chose, sachez-le, je ne suis pas une grande lectrice de science-fiction, genre dans lequel on place habituellement la dystopie. En effet, vous vous en doutez : l’Utopie dont il est ici question est un régime qui s’est mis en place dans un monde post-apocalyptique, ou qui y ressemble, dans une enclave qui sert de refuge contre le reste du pays, en proie à une régression civilisationnelle sans précédent. La Matrie protège ses citoyens et leur offre un modèle collectiviste dans lequel chacun est au service de l’Etat et du bien commun. Et là, même si je ne vous livre pas les détails, que vous découvrirez vous-mêmes, vous sentez déjà que ça part en cacahuète.

J’ai ouvert ce roman sans rien en savoir, comme je le fais presque toujours. J’ai pensé pêle-mêle à La servante écarlate, au Désert des tartares, au Rivage des Syrtes. Ne vous fiez pas à la trame à première vue classique, et n’oubliez pas que Marianne Peyronnet s’est déjà illustrée avec talent dans le roman noir. Le Mur est donc d’une grande noirceur, et c’est tant mieux.

Et pourtant il y a dans ce roman quelque chose de lumineux. Je vous laisse découvrir le roman et je ne voudrais pas en raconter trop. Je ne sais pas si ce roman nous dit que l’humanité, tissée de rencontres, d’empathie et d’amour résiste à tout ou est menacée par des forces antagonistes bien plus puissantes. Mais il nous alerte sur nos peurs, sur la tentation du repli, il nous incite à toujours questionner les valeurs et les actes qu’on veut nous imposer. Pao, Satine et Bayé représentent cette humanité en nous, menacée, assiégée.

L’écriture de Marianne Peyronnet, dans ce récit à la première personne, suit le cheminement de ce jeune homme, qui passe d’une obéissance sans mesure au régime nourricier à l’éveil d’une conscience. Pas de fioritures, pas de pathos, une écriture précise et sans chichis. Le récit n’en a que plus de force.  »

Marianne Peyronnet, Le Mur, Les éditions Relatives, 2023. Sortie le 15 mai.

http://tashasbooks.blogspot.com/2023/05/le-mur-de-marianne-peyronnet.html

Connemara de Nicolas Mathieu

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L’intrigue est mince. Hélène, bientôt quarantenaire, a réussi sa vie. Brillantes études, beau mariage, deux filles, maison d’architecte à Nancy. Elle a réalisé son rêve, quitter la petite ville de l’Est où elle a grandi, s’extirper de sa condition, changer de classe sociale, s’élever par rapport à son milieu d’origine. Christophe, lui, même génération, est resté dans le bled où ils se sont connus il y a plus de vingt ans. Ancienne gloire locale dans l’équipe de hockey et tombeur de demoiselles, devenu vendeur de croquettes pour animaux, il a gardé les mêmes potes, est père divorcé et vit avec son paternel que la démence menace. A l’heure des bilans, et suite à la rencontre fortuite entre les deux personnages, Mathieu s’empare d’un thème qui paraît éculé pour en faire un roman mélancolique, portrait de la France contemporaine, et au-delà.

Une douce violence, telle est la sensation que l’on éprouve à la lecture de Connemara, si juste dans la peinture des relations entre les personnages qu’on la pense par endroits écrite en nous observant. Impossible de ne pas trouver des bouts de soi finement glissés dans les mots de Nicolas Mathieu, des moments forts ou minables de notre existence. Si certains auteurs se contentent de leur nombril comme unique sujet de dissertation, excluant de fait tous ceux qui ne vivent pas exactement comme eux, il n’en est rien ici.

Mathieu englobe sans se perdre en digression. Son écriture est à l’image de son propos, dense mais abordable. Des sujets, chaque page en expose plusieurs, par bribes délicates, qui pourraient faire des œuvres complètes chez d’autres. La déliquescence des sentiments, qu’il s’agisse d’amour ou d’amitié ; l’impression d’avoir raté sa vie à l’aube de la vieillesse ; les regrets de n’avoir pas osé plus, ou d’avoir osé trop ; les gens qu’on perd et ceux qu’on n’aurait pas dû retrouver….

Et surtout cette analyse des interactions entre les gens de diverses classes sociales ; l’ambition de se sortir d’un milieu qui vous étouffe pour se retrouver dans un plus étouffant encore, dont on n’a pas les codes… Mathieu continue son exploration de la rage qui habite ceux qui n’ont rien et du mépris de ceux qui pensent avoir. Avec une tendresse infinie envers ses créatures. Qu’elles se contentent d’un verre le samedi soir avec les copains ; qu’elles aient sué sang et eau pour prouver leur valeur ; qu’elles chantent du Sardou les soirs de mariages, ou refusent de le faire alors qu’elles en connaissent les paroles par cœur ; qu’elles soient elle, lui, ou nous.

Connemara / Nicolas Mathieu. Actes sud, 2022

Yvan Robin

Cinq romans au compteur. Yvan Robin construit son œuvre avec une régularité de métronome. Une œuvre poétique, férocement drôle ou rugueuse, décapante, mouvante tant les thèmes qu’il aborde sont vastes et les formes narratives dont il use variées. Dans Travailler tue !, paru en 2015 chez Lajouanie, il racontait le pétage de plomb d’Hubert Garden, salarié zélé d’une grosse boîte de travaux publics qui l’employait pour faire des économies sur le dos des ouvriers, jusqu’à son déclassement… L’appétit de la destruction (Lajouanie, 2019) lui était prétexte à suivre la dérive d’un groupe de rock, de son ascension à sa chute… Dans Après nous le déluge (In8, 2021), ses personnages tentaient de survivre dans un environnement dévasté, sous des torrents de pluie, sans soleil désormais… Une couleur cependant teinte tous ses romans. Le noir évidemment. Et cinquante nuances de rouge, comme dans son dernier livre en date, La fauve, paru chez Lajouanie en 2022. Montcalme. Les hommes portent la culotte et les fusils. Pour prouver leur force, ils rôdent. Dans leur comité de vigilance citoyenne, il y a le doc, l’instit, l’employé de mairie, le paysan. Tous blancs, virils, chasseurs, ils sillonnent les bois nocturnes, au cas où quelque bronzé forcément mal intentionné se risquerait dans le coin. Leur ronde effectuée, un petit verre au bistrot, et zou, retour chez bobonne, pour ceux qui ont su garder une chienne au chaud. Blanche fait partie de ces femmes. Bonne épouse et mère, elle a vécu la peur au ventre, dans l’isolement et la crainte des coups. Enceinte à nouveau, c’en est trop. Epuisée, elle a décidé d’en finir. A moins qu’elle ne devienne la Fauve… Revenge novel où la tension monte par palier lors d’une unique nuit, où chaque action libératrice des opprimé(e)s est une victoire, la Fauve dresse des portraits sensibles de femmes poussées à bout. Leur belle colère, la violence qui déferle jusqu’au paroxysme final sont l’exact contrepoint de leur désir de vivre en paix, dans un monde libéré des hommes ou du moins soulagé d’une masculinité toxique. Amen.
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J’ai lu qu’avant de te lancer dans l’écriture, tu avais joué dans un groupe de rock. Dans quel groupe ? De quel style ? Ecrivais-tu les textes ?

J’ai passé mon enfance à jouer de la « air guitare » en pyjama devant le miroir de ma chambre, à dessiner des logos de groupes de rock imaginaires sur des tee-shirts publicitaires, et à écrire des chansons contestataires… Ma première expérience scénique remonte au CE1, trois titres d’Elmer Food Beat a capella devant la classe avec mes potes Kévin et Julien. A la demande de l’institutrice qui nous avait chopés en train de photocopier clandestinement des paroles de chansons. À l’époque, nous écoutons la Mano Negra, les VRP, les Garçons bouchers, et du punk (j’enregistre des compilations K7 pirates sur la radio Quartier Orange). Quelques temps après, Nevermind sort, et confirme nos aspirations rock. Avec les deux mêmes potes, dès l’entrée au collège, nous montons enfin notre groupe… La première répétition est décrite telle qu’elle s’est réellement déroulée dans mon roman L’appétit de la destruction. Après quelques années, un peu de turn over autour du noyau central, la formation se stabilise. Entre-temps, l’horizon musical s’est élargi. Au collège, alors qu’on écoute plutôt du métal (voire du néo-métal, Korn, Deftones, Marylin Manson…), la sortie de Paris sous les bombes bouscule nos certitudes, puis ce sont d’autres sonorités, plus acoustiques, le premier album de Louise Attaque, la découverte des Têtes raides, de Mano Solo, qui orientent nos nouvelles compos. Sans renier l’esprit punk des débuts, le groupe Les Gens apporte sa petite pierre à l’édifice de ce qu’on appelle alors la « néo-chanson française », mêlant des textes (que j’écris en partie), des grilles d’accord à la Nirvana (je m’occupe de la guitare rythmique), et des arrangements world (Lo’Jo, Taraf de haïdouks, Ciocarlia…). Drôle de cocktail, qui nous entraîne sur les routes de France, en première partie des grands-frères (Hurlements d’Léo, Ogres de Barback, DSLZ, Rageous Gratoons…). Notre premier album est enregistré dans une distillerie, et nous nous retrouvons à peine majeurs à la tête d’une petite boite de prod, avec un distributeur qui nous met la pression, un tourneur, un petit label pour l’export… Le deuxième opus Pourvu qu’il me laisse le temps, enregistré dans le studio flambant neuf de notre ingé-son, est masterisé au studio Sterling Sound à New York… Un rêve de gosses ! Bref, en 2009, alors qu’une moitié des membres se professionnalise, coordonner les agendas (12 personnes sur la route) devient compliqué, et nous devons nous résoudre à laisser le projet de côté. En suivant, j’enregistre avec mon pote Norbert un album concept (plus d’inspiration Bashung, Rodolphe Burger ou Daniel Darc…) sous le nom de L’œil du maître. Le travail de studio en petit comité, et l’écriture de la totalité des titres du disque me rapprochent indéniablement de l’écriture romanesque…

As-tu abandonné la musique parce que la littérature correspondait plus à tes aspirations ? Ou considères-tu, comme un de tes personnages dans Après nous le déluge que « la poésie (les mots, donc), c’est ce qui meurt en dernier » ?

J’ai abandonné pour raison de santé… Enfant, j’ai eu des otites à répétition, plusieurs opérations pour la pose d’aérateurs tympaniques… Et à 25 ans, à la suite d’un énième trauma sonore (j’ai joué du punk dans des garages dès l’âge de onze ans), de violents acouphènes des deux côtés, ainsi qu’une sévère hyperacousie (avec un seuil de tolérance à 33dB) m’ont contraint à me couper définitivement du bruit… Après, c’était aussi une suite logique. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis l’enfance (poèmes, chansons, journal, nouvelles…) et ce tournant artistique correspondait à une évolution de mode de vie, moins nomade, plus posé… La poésie, c’est ce qui vient en premier, et qui meurt en dernier, je crois. D’ailleurs, le moment venu, je m’accorderai ce luxe, je n’écrirai plus que de la poésie.

On dit toujours que c’est dans son premier roman qu’un auteur met le plus de lui-même. Ton premier roman, La disgrâce des noyés, est malheureusement épuisé. De quoi parlait-il ? Quel regard portes-tu sur cette première oeuvre ?

La Disgrâce des noyés, publié en 2011 chez Baleine, est une sorte d’amalgame de poèmes en prose qui forment un roman OVNI. Une série de courtes vignettes, avec un titre pour chacune, relate la vie d’un homme à travers ses rencontres avec « la mort » (au sens large, métaphorique du terme… Décès de proches, mais aussi vagues à l’âme, déceptions amoureuses, presqu’accidents, orgasmes…). J’avais 25 ans, quasiment lu aucun livre, aussi ce texte n’a pas conscience de ce qu’il est, de ses emprunts à la littérature de genre, ni de ses citations involontaires… Cela en fait un roman à part, assez candide, mais sans doute aussi surprenant… Par la suite, j’ai dû apprendre à écrire de « vrais » romans. Il m’a fallu quelques années de labeur, une dizaine de manuscrits qui resteront dans mes tiroirs, lire énormément pour rattraper mon retard, avant d’être publié de nouveau, en 2015. Pour en revenir à ce premier roman, je lui porte un regard assez tendre. Quant à savoir s’il « me contient » plus que les autres, pas sûr. J’y relate des scènes vécues dans l’enfance, plus ou moins détournées, y décortique mes obsessions… Mais c’est le cas dans tous mes écrits.

Tes romans, malgré d’évidents changements de registre, ont tous un côté très noir. Cela correspond-il à ta vision de l’existence ?

On me fait souvent remarquer cette noirceur… Je n’ai pas le sentiment d’avoir le choix. D’ailleurs, c’est toujours après la publication que je le réalise (en faisant des lectures publiques, en discutant avec les lectrices et les lecteurs…). Ce n’est pas une volonté de choquer, de déprimer, de dégoûter. Les projets me tombent dessus, puis je creuse, je cherche, je tâtonne, pour trouver la meilleure façon de raconter cette histoire qui s’ébauche en moi… Il se trouve qu’à chaque fois c’est très sombre, alors que je suis plutôt quelqu’un de joyeux dans la vie… Angoissé mais joyeux. Pour le reste, je crois que les dysfonctionnements sociaux, l’absurdité de nos comportements, me nourrissent. Les questions auxquelles je n’ai pas de réponse… Et puis, l’urgence du temps qui passe, la finitude… Depuis toujours, j’ai peur de manquer de temps. Donc, oui c’est probablement lié à ma vision du monde, si j’écris des « feel bad books ».

Si l’on considère L’appétit de la destruction, qui raconte les excès, l’ascension et la chute d’un groupe, est-ce qu’il reflète le milieu du rock tel que tu en as fait l’expérience ?

J’ai toujours été fasciné par l’impunité que confère le succès. Comme les émotions fortes, que procure la scène par exemple, amènent celles et ceux qui les vivent, à repousser certaines limites pour se sentir encore vivants une fois redescendus sur terre… Comme le fait d’être assisté de toutes parts, conduit au restaurant, à l’hôtel, au lieu du concert, déresponsabilise et pousse à la régression… Sur scène, on t’apporte ta guitare déjà accordée, on t’aide à passer la sangle, on te tend ta serviette blanche et ta bouteille d’eau… Ma courte expérience m’a permis de constater que l’éthique défendue en public pouvait parfois être bafouée sans complexe en coulisse… Sur la route toute l’année, certains groupes sont coupés du monde, déconnectés. J’avais envie de réfléchir à cette question, et puis j’avais accumulé avec gourmandise des récits d’excès, des anecdotes de chambres d’hôtel ravagées… La plupart de mes potes travaillent dans la musique, je suis toujours friand de connaître l’envers du décor des tournées. D’ailleurs, tu parles de « milieu du rock » mais cela n’est pas forcément lié au style de musique, la plupart des histoires vraies que j’ai replacées dans ce roman concernent des « artistes de variété » comme on dit poliment. Ce livre était surtout l’occasion de refaire du bruit dans le silence… De composer, d’écrire des chansons, de recréer cette énergie des concerts qui me manque parfois.

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Appetite for Destruction est le titre d’un album des Guns N’ Roses. Est-ce un groupe que tu aimes particulièrement ? Qu’est-ce que tu écoutes ?

Le clin d’œil était parfait pour le titre du bouquin, mais au risque de te décevoir, je ne suis pas un grand fan des Guns. J’écoute beaucoup moins de musique qu’auparavant, même si je reste curieux… J’aime les productions du label No Format (Blick Bassy, Ballaké Sissoko, Mélissa Laveaux…), j’ai toujours un penchant pour les textes en français, Laura Cahen, MPL, Sages comme des sauvages, Mansfield TYA, Gargäntua… Côté rock, j’écoute les copains de Roseland,  les petits jeunes de Pogo Car Crash Control, Viagra Boys… Comme en littérature, c’est la diversité qui fait la beauté du paysage. Je n’ai aucune chapelle, j’écoute TOOL et Georges Brassens. Seulement, je n’y trouve pas les même choses.

La musique, sans être centrale, occupe une grande place dans tes livres. Hubert Garden, dans Travailler tue !, écoute de l’opéra. Lazare, dans Après nous le déluge, écoute Satie, du classique. Judith, dans La fauve, du punk. Leurs goûts musicaux t’aident-ils à définir tes personnages ? De même que les marques de leur électroménager, de leurs clopes, de leurs vêtements, que tu cites souvent ?

Elle définit les personnages, leur état d’esprit, leur humeur, et campe une atmosphère. Elle joue un rôle fondamental dans l’esthétique du projet, la couleur, le rythme que je cherche à impulser. Au départ, je m’interdisais beaucoup de choses, qui me semblaient nuire à la poétique du texte (les marques, les lieux, l’époque, l’ancrage dans le réel en somme…), avec le temps j’essaye d’assouplir mes principes. L’usage des marques a plusieurs fonctions, caractériser un lieu ou un personnage (son statut social, ses goûts, l’image qu’il donne de lui…), le tourner en ridicule ou faire entendre sa détresse, mais cela me sert aussi à créer des déséquilibres, des anachronismes… Ce n’est jamais gratuit, pour autant, ce n’est pas de la publicité.

Beaucoup de tes personnages masculins sont des anti-héros, avec comme apogée ceux de ton dernier roman. Ils sont violents, sexistes, racistes, bas du front. Ils cumulent tant de tares qu’on éprouve une jubilation certaine face à leurs déconvenues. Les hommes sont-ils irrécupérables ? Comme dans La fauve, le monde se porterait-il mieux sans la plupart d’entre eux ?

Ahahah, il m’est arrivé de le penser… Pour revenir à la notion d’anti-héros, j’ai toujours eu du mal avec la glorification, avec les héros positifs… Quand j’étais gosse, il y avait cette émission à la télé qui s’appelait La nuit des héros avec des reconstitutions de drames du quotidien pour mettre en lumière la bravoure de valeureux anonymes. Ça me terrorisait… J’ai plus de tendresse pour ceux qui s’empêtrent et font les mauvais choix, qui ratent les rendez-vous avec le destin, qui échouent à leurs examens… Les winners m’emmerdent. Dans La Fauve, ils sont particulièrement gratinés c’est vrai, mais je n’ai rien inventé, j’ai déjà entendu chaque ligne de dialogue ici ou là… Après, la difficulté consiste à parvenir à créer un minimum d’empathie autour d’un personnage détestable, pour cela, il faut qu’on se retrouve un peu en lui… Mais je crois qu’on a tous quelque chose de détestable.

Blanche a du mal à éprouver de l’amour pour son fils. Elle le voit devenir, malgré elle, une réplique de son père, « conforté(e) par l’école, les copains, le club de sport, le voisinage, la télévision, la société ». Si c’est l’éducation des garçons qui entraîne une masculinité toxique, cela veut-il dire que nous sommes collectivement responsables du patriarcat ?

Je suis prudent avec tout ce qui pourrait ressembler à une certitude. Il y a une responsabilité collective, c’est indéniable, et des leviers d’actions individuels. Il tient à chacun de faire en sorte de devenir meilleur, et l’entourage, les médias, la société, peuvent encourager les prises de conscience. À travers l’écriture, je me suis glissé dans la peau de cette femme, Blanche, qui vit sous le joug de son mari, et qui constate avec désolation l’évolution de son petit garçon… On en revient à la question de l’impunité et de l’assistanat, vecteurs de régression… Il est absurde d’être adulé, conforté, cajolé, servi à table, pour le simple fait d’être né garçon… Depuis quelques semaines, je poursuis cette réflexion en travaillant sur un roman noir pour ado, autour des modèles de masculinité… La fiction a probablement un rôle à jouer.

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Dans deux de tes livres, il y a des scènes dans des ehpad. Vieillir t’angoisse-t-il ? La façon dont on s’occupe de nos vieux te préoccupe-t-elle ?

Ne m’en parle pas, je viens de fêter mes 39 ans, et j’accuse le coup. Vieillir m’angoisse, diminuer, s’effacer du monde et de soi-même… Les vieux n’ont plus d’utilité sociale, et sont parqués dans des stabulations en attendant une mort qui arrive de plus en plus tard… Oui, c’est préoccupant. Sans doute avons-nous trop peur de vieillir, d’être dépendants, de mourir, pour nous emparer sérieusement du sujet.

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Roman réaliste, récit post-apocalyptique, conte, mythe… aucun de tes romans ne se ressemble et tu expérimentes beaucoup. A quel moment du processus d’écriture décides-tu de la forme ?

Tout se met en place en même temps… J’accumule des éléments dans un carnet, et au fil des notes, l’esthétique du projet prend forme. Un peu comme en musique, le style, les étiquettes, ce n’est pas vraiment mon problème… La bonne littérature transcende la notion de genre. D’ailleurs, quand un livre de SF ou un roman noir a du succès, il n’est pas rare qu’il soit republié en littérature générale…

D’une manière plus générale, où puises-tu ton inspiration ? Fais-tu beaucoup de recherches ?

Le moins possible. Cela me donne l’impression de tricher. J’adore l’idée de pouvoir entrer dans une pièce aveugle et d’en sortir quelques temps plus tard avec un roman. Néanmoins, là encore, il y a un minimum nécessaire à la crédibilité… Je regarde des tutos sur le maniement des armes, fais des visites virtuelles de certains édifices pour les besoins d’une scène, ou lis des témoignages… Mais toujours pour glaner un détail infime, qui va me donner le sentiment de contenir le réel. Je préfère relier mon récit à la réalité par un fil ténu plutôt que par de grosses ficelles… Et puis, je me connais, si je fournis un gros travail de recherche, je vais m’évertuer à ne « pas gâcher ». C’est le risque, quand on s’est beaucoup documenté en amont… En tant que lecteur, je suis souvent gêné par le côté Wikipédia de certains passages. Quant à la question de l’inspiration, il s’agit simplement pour moi d’adopter une posture d’ouverture pour capter tout ce qui pourrait constituer une matière romanesque (lire, écouter la radio, voir des films, vivre, travailler, boire des coups, parler avec des gens…), en faisant le lien entre plusieurs idées/notions/sensations, il arrive que naisse un concept d’histoire. Ensuite, il faut se mettre au travail, et tenir la distance.

J’ai pensé à Thelma et Louise quand j’ai lu une scène de La fauve – celle où trois générations de femmes se retrouvent en voiture. Penses-tu être influencé par certains artistes, certaines oeuvres ?

Ce n’est pas la première fois qu’on me le fait remarquer, et la référence me plait bien. Pour La Fauve, il y a bien une sorte de choc à l’origine du roman… À l’âge de six ou sept ans, j’ai souvenir d’être descendu dans le salon où mes parents regardaient un film. J’avais une otite, comme souvent, qui m’autorisait à m’installer quelques instants sur le canapé… Le temps de voir débarquer Isabelle Huppert et Sandrine Bonaire armées de fusils pour décimer la famille Lelièvre, dans La cérémonie. J’ai gardé en mémoire cette vision, sans jamais revoir le film. Ce n’est qu’une fois le manuscrit rendu à l’éditeur, que j’ai visionné le chef-d’oeuvre de Chabrol. Sinon, en règle générale, je n’ai pas vraiment conscience d’être influencé (l’avantage peut-être d’avoir commencé à écrire avant de lire). Après, certaines lectures m’ont transformé c’est certain, Bove, Bukowski, Echenoz, Despentes, Forton, Céline, Fante, Faulkner, Bret Easton Ellis, Goliarda Sapienza, Jean Hegland… Là encore, c’est la diversité des voix, des propos, des genres et des époques qui prime…

As-tu des rituels quand tu écris ? Ecris-tu en musique, à des horaires particuliers ?

J’écris partout, au café, au lit, dans le train… et à n’importe quelle heure. Parfois en musique, parfois non. Sur l’ordinateur, toujours, pour me balader d’un chapitre à l’autre via la recherche par « mot clef ». Mes rituels concernent surtout la façon de ne pas perdre mon travail. Sauvegardes multiples sur différents supports, envois des fichiers par mail après chaque séance… Quand je bloque sur une scène, cela m’obsède, et j’ai besoin de varier les lieux, les rencontres, les activités, pour stimuler la réflexion et trouver la solution.

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L’absence de points d’interrogation dans tes dialogues, le fait que Blanche se vouvoie elle-même, l’emploi du « je » ou du « tu », du passé ou du présent, le vocabulaire ultra précis, les phrases qui sonnent, le rythme toujours soutenu… ton style est particulièrement efficace et inventif. Retravailles-tu beaucoup tes textes ?

Bravo pour cette lecture très précise. Pour la ponctuation, là encore, c’est très perso… J’essaye de me passer de certains signes, points d’interrogation et d’exclamation entre autres, pour que l’intention transparaisse dans le choix des mots. Je retravaille énormément, c’est d’ailleurs l’essentiel du temps passé sur le manuscrit. Trouver la musique, la justesse du propos, sans surcharger la phrase. Je cherche des procédés narratifs, fais des essais plus ou moins fructueux. En cours de rédaction, il m’arrive de changer de personne (Passer du « je » au « tu » ou au « il », par exemple), ou de temps, pour m’approcher de l’effet recherché, de l’esthétique, de la vision que j’avais au départ… Je m’amuse avec la focalisation, un peu comme avec une caméra qui filmerait un plan large avant de plonger dans la tête d’un personnage… La littérature permet cela, et c’est l’une des facettes de l’exercice qui m’intéresse, inventer des procédés, expérimenter. Il n’y a aucune contrainte technique ou financière, en littérature tout est permis…

L’intrigue de La Fauve est condensée sur un temps très limité, avec indication de l’heure précise des événements. Par contre, tu ne donnes jamais la date, comme dans aucun de tes romans. De même, Judith écoute beaucoup de groupes punks, la plupart disparus et français, comme Camera Silens, Brigada Flores Magon, Paris Violence, Washington Dead Cats, Gogol 1er, les Bérus, sur des cassettes dans son autoradio. Pourquoi brouiller ainsi les pistes quant à la période où se passeraient tes récits ?

Bien observé. J’essaye d’inscrire l’histoire dans une sorte d’universalité… Une entreprise (« V2V » dans Travailler tue) qui serait un peu toutes les entreprises, un groupe de rock (« Âme less » dans L’Appétit de la destruction) qui serait un peu tous les groupes de rock, etc… L’époque est volontairement floue. J’aime l’idée qu’un roman puisse voyager dans le temps… Cela me semble plus intéressant que de le situer dans un contexte historique très cadré. C’est ce que j’apprécie en tous cas, en tant que lecteur… Lire Mes amis (le premier roman d’Emmanuel Bove sorti en 1924), à l’époque des réseaux sociaux, c’est fabuleux ! Le hasard crée de nouvelles pistes d’interprétation, augmente l’expérience de lecture. Je procède de la même manière avec les lieux, dans Travailler tue, l’action se situe à Neuville, une cité imaginaire avec ses quartiers, son fleuve… Dans La Fauve, j’ai imaginé le village de Montcalme. En lisant Après nous le déluge, des lecteurs situent l’action en Europe, en Asie, en Afrique, à une époque parallèle à la nôtre, voire située dans un futur plus ou moins proche… S’inscrire d’emblée dans un univers fictionnel, à distance du réel, permet de poser les règles du jeu et de s’autoriser toutes les outrances, puisque « c’est pour de faux »…

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L’humour, noir évidemment, est très présent dans tes romans. Qu’est-ce qui te fait rire, pleurer, peur ?

Si c’est une devinette, je dirais la mort. Sinon, j’aime assez l’absurde, dans les situations, les comportements, les bouquins de Seb Gendron, de William Kotzwinkle, me font rire… Vigile de Hyam Zaytoun m’a fait pleurer toutes les larmes de mon corps, la déclaration d’amour à sa mère d’Antonia Crane dans Consumée aussi… Pour ce qui est de la peur, le réel sera toujours plus fort que la fiction.

Tu vas très loin dans La Fauve en abordant des thèmes rarement développés en littérature. N’as-tu aucun tabou ? Crains-tu parfois la réaction de tes lecteurs ?

J’ai toujours peur des réactions. Elles sont très diverses d’ailleurs, ce qui me surprend et m’amuse toujours. Le lecteur fait la moitié du boulot, plus qu’au cinéma, pour construire les images. Je croise des petites mamies qui m’assurent s’être bidonnées en lisant mes histoires, et des métalleux tout de noir vêtus, avouent que mon texte était beaucoup trop sombre pour eux… J’ai surtout peur d’être mal compris, de rater un effet, de donner le sentiment d’être complaisant vis-à-vis de la violence, de blesser, ou de parler « à la place de »… Ce n’est pas toujours évident, surtout quand on pratique une littérature un peu amorale, où les notions de bien et de mal ne sont pas clairement définies, qu’on aborde des sujets de société… Je ne pense pas avoir de tabou, d’ailleurs si j’en trouvais un, il y a de fortes chances qu’une force irrépressible me conduise à essayer d’en faire un livre.

Interview publiée dans New Noise n°65 – février-mars 2023