Peter Punk au pays des merveilles de Danü Danquigny

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Desmund Sasse sort de prison. Il s’est tenu à carreau le temps de purger sa peine et il est bien décidé à continuer à faire profil bas. Mais voilà, à Morclose, cette petite ville où il a grandi, les pépins lui collent aux basques comme s’il était leur ami. A peine dehors, il est accusé de complicité de meurtre sur la personne de Léo Cap, un conseiller régional qu’on vient de suriner. Tout ça parce que l’assassin présumé, un certain Richard, lui a envoyé de mystérieux messages sur son portable. Desmund est bien obligé de s’en mêler.

« Tous pourris », tel pourrait être le sous-titre du deuxième roman de Danü Danquigny. Gros durs véloces à distribuer des baffes, tenanciers de boîte de nuit sordide dissimulant des trafics en tous genres, filles et fric, sans oublier politicards véreux, flics corrompus, la brochette d’ordures qui se dresse sur sa route a de quoi ranimer les ardeurs belliqueuses de l’ancien clown désabusé. L’amour de ses semblables n’est pas vraiment sa came, à Des, mais l’injustice le débecte et il déteste que les méchants s’en sortent. L’anar se débat, dans les ruelles de cette cité triste. Des manifestants sont chargés par des CRS, gazés en toute impunité. Le virus sert de prétexte pour isoler les derniers fêtards. Le nouveau monde ferait presque regretter l’ancien. A la fin, on s’en serait douté, la morale n’est pas sauve. Ce sont toujours les petits qui trinquent tandis que les nantis sabrent le champagne. Le justicier devra rechausser les gants, plus tard, s’il en a encore envie.

Changement de registre assumé, Peter Punk n’a pas grand-chose en commun avec Les aigles endormis, dans lequel Danü Danquigny nous dressait le portrait d’une Albanie post-dictature pas vraiment joyeuse. Ici, l’immersion dans le réel sert de toile de fond à une aventure plus déjantée, plus légère, où son Peter Punk, s’il est crédible, remplit la fonction du héros qui nous venge. Il n’en demeure pas moins que les deux romans partagent, au final, une certaine vision de l’existence, désenchantée.

Peter Punk au pays des merveilles / Danü Danquigny. Gallimard (Série noire), 2022

Les loups de Benoît Vitkine

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Olena Hapko vient d’être élue Présidente de l’Ukraine. Il y a un délai de trente jours entre son élection et son investiture, laps de temps dont se sert l’auteur pour poser la trame de son récit. Efficace stratagème, compte-à-rebours habile qui lui permet de présenter le contexte géopolitique de la zone, ainsi que le personnage principal de son histoire. Olena Hapko a un physique avantageux et un mental d’acier. On la surnomme la Chienne. Pour arriver à ce niveau de pouvoir, il a bien fallu qu’elle montre les dents. Son programme, simple, a séduit la majorité. Avec elle, finie la corruption, elle promet la justice pour tous, la fin de l’allégeance aux Russes et une plus grande coopération avec l’Europe. Les gens l’ont crue, comme ils en ont crû tant avant elle, ou ils ont fait semblant.

Vitkine dresse le portrait d’un peuple désabusé, asservi, résigné. Habitué à vivre sous le joug d’une élite vénale, il ne s’étonne plus des pots-de-vin distribués aux niveaux les plus hauts du pays. Les représentants des Institutions se font graisser la patte en toutes occasions, constructions de routes, projets immobiliers qui ne verront jamais le jour, avantages en nature… C’est toujours mieux que les déportations vers les goulags de l’époque de l’URSS. Dans ce pays jeune, tout semble ne devoir jamais changer. Alors, essayer une femme à poigne qui a fait fortune dans les affaires, pourquoi pas ? Mais voilà, le passé d’Olena n’est pas sans tache et les amis de Poutine le savent puisqu’elle s’est enrichie jadis sur le dos de ses compatriotes en revendant aux Russes un des fleurons de l’industrie ukrainienne. Avec l’argent, elle a créé une compagnie offshore dans une île intouchable. Et il se trouve que ses anciens amis ont décidé d’avoir sa peau. Soit elle accepte un contrat concernant l’acheminement du gaz qui soumettrait son peuple, soit ils racontent tout. Olena a trente jours pour se tirer de ce mauvais pas.

L’histoire est un prétexte à mieux comprendre ce qui se joue dans cette partie du monde. Vitkine apporte des éclaircissements bienvenus en cette période actuelle où la guerre semble aux portes de l’Europe. Puissances extérieures, ennemis de l’intérieur, barbouzes, envoyés très spéciaux experts en distribution de poisons, en jets d’acide, les forces antagonistes en présence ne reculent devant rien pour faire avancer leur cause. Les medias sont aux ordres, les diplomates impuissants ou serviles. Les enjeux les dépassent et les petites gens morflent. L’ambiguïté règne, symbolisée à merveille par une Olena dont on ignore jusqu’au bout si elle est sincère ou cynique, machiavélique ou désespérée, sans empathie pour ses semblables ou poussée à bout, amorale ou déterminée. Le flou, peut-être est-ce ce qui définit le mieux l’Ukraine, un pays où même les loups ne sont pas vraiment libres.

Les loups / Benoît Vitkine. Les Arènes (equinoX), 2022

Mon mari de Maud Ventura

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La narratrice, épouse et mère de deux beaux enfants, est folle amoureuse de son mari. Charismatique, il l’a séduite il y a quinze ans et leur vie est un conte de fées. Il travaille dans la finance, elle est traductrice. Ils sont fortunés, encore jeunes. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et pourtant… Folle amoureuse, et surtout folle, se dit-on à la lecture de cette confession rédigée à la première personne, même si le doute s’installe au fil des pages, et que le malaise s’accentue. Eternelle insatisfaite, elle rêve d’une passion dévorante, de gestes d’affection constants, de rien d’autre que l’amour. Au point de considérer ces enfants comme des gênes. Alors, elle dissèque la relation qu’elle vit avec l’être aimé, compte les secondes qu’il passe sans lui tenir la main, rumine, fouille ses affaires, lit ses messages. Son mari (« qui n’a plus de prénom, [lui] appartient ») l’aime-t-il assez ? Autant qu’avant ? Autant qu’elle l’aime ?

De charmante la mariée vire à la névrosée. Parfaite selon les apparences, avec sa manucure impeccable, ses cheveux teints d’un « blond froid et sensuel », ses pensées révèlent une malade obsessionnelle, qui note dans des carnets ses humeurs selon les jours de la semaine. Hystérique. Dangereuse… Puis, à mesure de ses réflexions, le lecteur commence à se poser les mêmes questions qu’elle. Est-elle une « amoureuse de l’amour », une furie qu’agitent des chimères de petite fille à la recherche du prince ? Ou « son mari » n’est-il pas, effectivement, un individu distant, lui qui se contente d’un baiser sur la joue quand il rentre du bureau ? N’est-il pas enclin à juger les défauts de son épouse, à la rabaisser, lui rappelant constamment qu’ils ne sont pas issus du même milieu et qu’elle a de la chance ? Ne lui pardonne-t-il aucune de ses faiblesses, au point qu’elle se sent obligée d’utiliser les toilettes du rez-de-chaussée pour ne pas le décevoir ? Qui croire ?

L’épilogue livrera le fin mot de la relation, balayant toutes les hypothèses, contrecarrant toutes les pistes, lors d’un final de quelques pages surprenantes. Etrange roman que Mon mari. Drôle ou inquiétant, selon le point de vue selon lequel on se place. Cynique assurément, qui livre une belle réflexion sur l’amour conjugal, la maternité et confirme, s’il le fallait, qu’on ne sait jamais ce qui se passe dans un couple, une fois fermée la porte de la chambre à coucher.

Mon mari / Maud Ventura. L’Iconoclaste, 2021