Richard Krawiec

photo Anne-Marie Lafleur
photo : Anne-Marie Lafleur
Les personnages des romans de Richard Krawiec ne laissent pas indifférents. Opprimés par leur environnement et par un passé familial aux lourdes conséquences, ils tentent de survivre quand le destin s’acharne. Pourtant, on a souvent autant envie de les plaindre que de les étriper, déterminés qu’ils semblent être à aider la malchance à les maintenir sous l’eau. Dans Dandy, les difficultés rencontrées par Jolene et Artie auraient pu servir de toile de fond à un récit misérabiliste. Il n’en est rien. Le couple, gens simples, sans éducation, sans aucun code pour s’intégrer dans un monde rude envers les traîne-savates, est à la fois victime et bourreau. Lui envers elle dont il exploite les faiblesses, elle envers son fils Dandy qu’elle nourrit de beurre de cacahuète et de pepsi et fait dormir dans un carton. Dans Vulnérables, Billy, drogué, délinquant, incapable de surmonter un traumatisme subi dans son enfance, est un inadapté qui gagne, malgré sa violence, notre empathie. Dans Paria, Stewart est le reflet d’une société américaine, celle des 60’s, qui n’a rien de peace and love. Tensions sociales, émeutes raciales, lynchages, haine du plus faible qu’il soit immigrant, noir ou femme… le monde explose et ce n’est pas beau à voir. L’excellente maison d’édition Tusitala, qui s’apprête à publier un quatrième roman de l’auteur, a sauvé de l’oubli une oeuvre majeure, dont on finit la lecture en ayant éprouvé toutes les émotions possibles, constamment sur le fil, et surtout, à force de montagnes russes, en évitant absolument de juger.
En 2013, les éditions Tusitala ont décidé de publier Dandy, vingt-sept ans après sa parution initiale aux Etats-Unis. As-tu été surpris de leur intérêt pour ton premier roman si longtemps après ?

J’ai été très surpris, en effet, quand Tusitala m’a contacté pour publier Dandy. J’avais quasiment abandonné l’espoir de pouvoir continuer mon travail de romancier. Non pas parce que je ne croyais plus en mon travail, mais parce que le monde de l’édition aux Etats-Unis ne se préoccupe que de finances et considère les livres comme des produits à vendre. Tout ce qui lui importe, c’est de publier des livres susceptibles de toucher un vaste public en se moquant bien de ce dont ils parlent.

Depuis, Vulnérables et Paria sont parus en 2017 et 2020, toujours chez Tusitala, (alors qu’ils restent inédits aux Etats-Unis), et tes trois romans ont bénéficié d’une sortie en édition de poche. Comment expliques-tu ton succès en France ? Et, à l’inverse, sais-tu pourquoi tu ne trouves pas d’éditeur aux Etats-Unis ?

Ce qui m’a semblé évident, d’abord avec Dandy, puis avec Vulnérables et Paria, c’est que les lecteurs et les critiques français sont, en général, plus réfléchis et concentrés. Ils comprennent non seulement la trame d’un roman, mais aussi sa portée philosophique, sociologique, culturelle et psychologique. Ils aiment les personnages complexes. Trop souvent aux Etats-Unis, les écrivains, les lecteurs et les éditeurs s’attachent avant tout à l’intrigue, et de ce fait découlent des personnages binaires, des héros ou des méchants taillés pour un film de 90 minutes. Le milieu de l’édition américaine s’intéresse en premier lieu aux propriétés cinématographiques d’un roman, pas à ses qualités littéraires.
Quand j’ai envoyé le manuscrit de Vulnérables (dont le titre original est At the Mercy), je n’ai essuyé que des refus de la part d’éditeurs new-yorkais qui ont loué mon écriture mais l’ont trouvée dérangeante. L’un d’entre eux est allé jusqu’à dire que c’était le plus grand roman écrit à la première personne depuis L’étranger de Camus, tout en ajoutant qu’il ne le publierait pas car, en termes de ventes, il ne voyait pas de débouchés. A l’époque, j’avais un de ces ‘super agents’. Il était persuadé que les éditeurs allaient s’arracher mon roman et qu’on allait me faire une offre à six, voire sept chiffres. Il a été incapable de le vendre et ça l’a sidéré.

As-tu complètement abandonné l’idée de convaincre tes compatriotes ?

Au cours de cette période, plusieurs événements sont survenus qui expliquent également que j’ai cessé temporairement d’essayer d’être édité. Mes deux premiers enfants sont nés. Et je me suis retrouvé très impliqué dans la direction d’une association à but non lucratif qui propose des ateliers d’écriture dans des refuges pour sans-abris, des centres d’accueil pour femmes, des programmes en direction des drogués, des non-anglophones, dans des cités HLM, des prisons, y compris pour les condamnés à mort. Et la femme avec laquelle j’étais marié à l’époque s’est mise à souffrir de troubles mentaux, ce qui fait que je suis devenu un parent isolé avec à sa charge deux jeunes enfants et une adulte. Malgré le fait que Dandy (Time Sharing) ait suscité l’attention de critiques dans le NY Times, dans Publishers Weekly, LA Times, ou Village Voice, que j’en ai vendu les droits à un gros producteur hollywoodien, j’étais confronté à l’indifférence du milieu éditorial, où les Départements des Ventes prenaient les décisions et avaient le dernier mot quant aux livres qui allaient être ou non publiés. J’ai continué à écrire mais j’ai décidé de me retirer de la scène éditoriale américaine. Avec l’attention approfondie que j’ai reçue en France, je n’ai pas senti le besoin de faire l’effort de tenter d’être publié en anglais. J’aurais peut-être dû. Mais j’ai préféré passer du temps à écrire plutôt qu’à batailler avec l’industrie de l’édition américaine.

dandy vulnérables paria

Tu es comme Bukowski, SaFranko, Stokoe, Fante ou Roberge, plus appréciés par les lecteurs français qu’américains. Te sens-tu des affinités avec ces auteurs ?

Une fois, au cours d’une soirée costumée organisée dans une librairie, je me suis déguisé en Bukowski. Je portais une robe de chambre sale, les cheveux ébouriffés, et j’insultais les gens autour de moi. « Je suis Bukowski », je disais, « vous vous attendiez à quoi ? » Je me sens de profondes affinités avec les auteurs que tu mentionnes. Mais, parmi les auteurs américains contemporains, je me sens encore plus proche de Robert Stone à ses débuts, de Richard Price, Raymond Carver, ou Nick Flynn. Des auteurs dont les personnages sont des anti-héros, complexes, cabossés essayant de surnager dans un monde corrompu où il n’existe pas de route à suivre bien définie.

Billy, dans Vulnérables, lit Albert Camus. Qu’as-tu cherché à exprimer à travers cette lecture particulière ?

Billy est un peu comme Meursault. Il a vécu un traumatisme qui le conduit à perpétrer un acte de violence extrême, même si celui que commet Meursault semble en apparence plus arbitraire. Aucun des deux n’est intégré dans la société dans laquelle il évolue. Ni l’un ni l’autre ne ‘joue le jeu’, comme l’a souligné Camus. Je voulais aussi que Billy lise ce roman, lise tout court, pour montrer que les gens sont capables d’un engagement intellectuel bien plus grand que ce qu’on attend d’eux. Quand j’enseigne en prison, la compréhension que les femmes et les hommes ont des oeuvres littéraires est souvent très poussée, bien plus que celle de mes étudiants à l’université. Ils se concentrent sur les personnages, les situations et pas sur les figures de style. Une fois, j’ai rencontré dans un refuge pour SDF un homme venant de Cuba qui avait fait une émission de radio avec Neruda. J’ai rencontré dans un foyer l’une des plus grandes poétesses que j’aie jamais entendue, une femme de Nouvelle-Zélande qui écrivait sur les maoris. Malheureusement, elle était accro au crack et était incapable de s’en relever.

Tes romans parlent de gens qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui se sentent rejetés, abandonnés. Veux-tu donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ?

J’ai grandi en fait à une rue de la cité où se déroule l’action de mon prochain roman, Les Paralysés. Depuis le plus jeune âge, j’ai vu la façon dont les gens étaient traités, comme s’ils n’existaient pas, comme si leur voix n’avait aucune importance. J’étais traité de la même façon. J’ai voulu donner la parole à ceux qu’on fait taire, de façon directe, ou qu’on n’entend pas à force d’indifférence. J’ai souffert des préjugés de classe toute ma vie – en tant que fils d’un père polack et d’une mère irlandaise, en tant que premier de sa famille à aller à l’université. Je me souviens d’un prof de gauche m’arrêtant dans le couloir un jour pour me sermonner : ‘Tu es à l’université maintenant, il est temps pour toi de perdre cet accent de prolo.’

Considères-tu que tu écris des romans sociaux, politiques ?

Je pense que mes romans contiennent des éléments politiques et sociaux, mais ils s’élaborent à partir de la vie des personnages sur lesquels j’écris, des gens qui se battent pour survivre à tous les niveaux – physiquement, émotionnellement, psychologiquement et économiquement – le plus souvent sans que j’aie la moindre idée de la façon dont ils vont essayer de le faire. Les familles et l’environnement qui les ont vu naître par le fait du hasard, les maintiennent dans l’échec. Mais je commence toujours quand ‘je vois’ un personnage dans un endroit particulier, en train de gérer une situation conflictuelle, ou quand je l’entends parler, et je suis toujours curieux de savoir ce qu’il va faire par la suite. C’est à travers leurs histoires humaines que le politique et le social se révèlent.

L’action de Dandy et Vulnérables se déroulait à la fin des 80’s, à l’époque où Reagan prônait un capitalisme débridé. Penses-tu, ainsi que Larry Fondation l’a écrit dans la préface française de Dandy, que la pauvreté et les inégalités ont augmenté, que tout est devenu encore pire depuis ? Penses-tu que Biden fera un meilleur président pour les pauvres que Trump ?

Je suis absolument certain que tout a empiré dans ce pays. Je ne vois rien qui ait pu s’améliorer. Trump a été un désastre. Mais Biden n’a pas l’air de piger grand chose. Il suffit de constater son fiasco quant à la question de l’immigration. Des centaines de milliers de réfugiés cachés dans des entrepôts, entassés épaules contre épaules, dormant dans ce qui ressemble à des cellules. Des milliers d’Haïtiens déportés vers un pays où ils subissent des violences physiques et économiques. Des enfants abusés sexuellement dans des centres de rétention. On empêche la presse d’accéder à ces installations, pour témoigner de ce qu’il se passe à l’intérieur, on lui refuse le droit de parler à des réfugiés. Durant toute la crise du covid, les gens des quartiers défavorisés ont été laissés de côté – sans leur accorder la possibilité de se tester ou de se faire vacciner, sans assistance médicale suffisante – alors que dans le même temps, les besoins des entreprises et de la population blanche de la classe moyenne supérieure ont été couverts. Alors, non, j’ai peu d’espoir que ça s’améliore, maintenant ou dans le futur, franchement. Pire, la vraie tragédie potentielle est celle-ci : Plus Biden lutte, plus la possibilité que Trump soit réélu est tangible. L’échec d’un camp conduit toujours au succès de l’autre camp, parce qu’aux Etats-Unis on est incapables de ‘penser’ autrement que de façon simpliste, binaire.

Sur ton site internet, il est dit de toi : « Son écriture est nourrie de ses expériences personnelles. Il a grandi dans la ville ouvrière défavorisée de Brockton, dans le Massachusetts, et il a été tour à tour travailleur à la chaîne, plongeur, livreur de journaux, routier, employé de fast food, chauffeur de taxi, serveur et enseignant. » Tu as vécu les mêmes conditions de vie difficiles que tes personnages. Est-ce qu’un auteur écrit bien sur ce qu’il connaît bien ?

On conseille toujours d’écrire sur ce qu’on connaît. Et c’est vrai. Mais pointe alors le danger de n’écrire que des réflexions personnelles. Ecrire uniquement sur ce dont tu as fait l’expérience offre une vision limitée du monde. C’est important d’écrire sur ce qui t’as nourri, mais c’est aussi important d’écrire sur ce que tu as observé de la vie des autres, d’accorder de l’attention à ceux que tu as rencontrés, même ceux que tu n’aimes pas, d’essayer de comprendre ce qui leur est arrivé, pourquoi, comment cela affecte leur personnalité, et ce que cela entraîne dans leurs interactions avec les autres. Les auteurs ne sont-ils pas là pour comprendre les forces qui fondent chaque être humain ? On ne peut qu’échouer dans cette tâche, mais c’est important d’essayer. Ainsi que l’a dit Louise Erdrich : « Aucun de nous n’est assez sage pour comprendre le coeur d’un autre, mais c’est notre devoir dans la vie d’essayer. » ‘Connais-toi toi-même’ serait ainsi en effet le premier conseil à donner, et aussi ‘apprends à connaître les autres’. Donc, étudie, fais des recherches. Sois toujours désireux d’apprendre.
Mais il y a aussi une donnée essentielle à un auteur, largement sous-estimée de nos jours, c’est l’imagination. L’imagination d’un auteur devrait être autant valorisée que les expériences qu’il a vécues. Il y a quelques années, le New Yorker a publié un long article sur les dialogues dans l’oeuvre de Richard Price, et l’auteur de l’article y soulevait un point important. On dit souvent des auteurs qu’ils ont ‘une bonne oreille’ pour les dialogues. On sous-entend par là qu’ils sont capables d’écouter et de restituer fidèlement les subtilités de la langue. Mais l’article du New Yorker disait de Price qu’il avait une ‘bonne imagination’ pour les dialogues, qu’il était capable de faire parler un personnage dans des dialogues qui sonnaient juste, tout en lui faisant dire des éléments nécessaires à l’avancée de l’histoire.

photo Sylvia FreemanPhoto : Sylvia Freeman

Le lecteur ressent une grande empathie envers tes personnages, même s’ils ne sont pas exempts de bassesses. Tu évites tout manichéisme ou angélisme pour en faire les portraits. Ils peuvent être menteurs, calculateurs, violents, mais ils se jugent eux-mêmes plus sévèrement que nous. As-tu mis beaucoup de toi dans un personnage comme Billy, par exemple ?

Il y a une part de moi dans chacun de mes personnages, dans absolument tous. Pour autant, aucun n’est vraiment proche de moi. Du vrai moi. Quoi que ça signifie. J’ai commencé mon travail d’écriture en ayant la volonté de rendre leur dignité aux gens que je croisais dans ma vie quotidienne, à ceux que je savais être ignorés, effacés de la société comme s’ils n’existaient pas. Mais je ne voulais surtout pas qu’on ait pitié d’eux. Je voulais que les lecteurs les aiment, et ce en dépit de leurs faiblesses, de leurs imperfections, qu’on reconnaisse en eux cette part d’humanité qu’on partage tous. C’est ce qui a rendu mon travail difficile à lire pour beaucoup d’Américains. Une femme m’a dit un jour, après avoir lu Dandy, ‘je sais bien qu’il y a des gens pauvres, mais je ne veux pas avoir à les regarder.’ C’est facile de condamner un personnage, ou de le prendre en pitié. ça permet au lecteur de le garder à distance, de le considérer comme ‘autre’, pas comme soi-même. Je veux amener mes lecteurs à partager le quotidien de mes personnages, je veux les faire asseoir à leur table et dialoguer avec eux.

L’environnement dans lequel tes personnages évoluent est très important. L’urbanisme a-t-il une influence sur la vie des gens ?

La politique d’urbanisme, voilà qui est important. En effet, l’aménagement urbain conditionne la façon dont les gens d’une communauté se voient et voient les autres. La ville où j’habite maintenant, Durham, en Caroline du Nord, avait une classe moyenne afro-américaine prospère qui vivait dans un quartier commerçant appelé Hayti, au centre de la communauté. Les urbanistes municipaux, sous prétexte d’améliorer la ville, ont fait construire une route bouclant le centre, ont fermé le district d’Hayti et ont déplacé les marchants afro-américains sur une bande de terre campée de cabanes en tôle. De façon temporaire, ont-ils dit. Evidemment, ça n’a rien eu de temporaire. Le but était de détruire ces commerces et le pouvoir grandissant de cette classe moyenne. La véritable finalité de cette route était de chasser les noirs du centre ville, de les empêcher de pouvoir y revenir facilement, afin que les décideurs puissent développer des projets immobiliers pour attirer plus de blancs dans le centre. Ils ont agi de la même façon à Raleigh, mettant en oeuvre des modifications touchant un centre-ville très vivant, plein de pauvres et d’ouvriers. Pas le bon type de gens, selon les urbanistes. Alors, ils ont fermé les boutiques, enlevé les bancs des parcs où dormaient les SDF, ont déplacé les services vers des zones reculées – des changements planifiés destinés à exclure les pauvres et les noirs du centre, afin qu’ils puissent le ‘revitaliser’ en encourageant les blancs, les banlieusards à venir s’y installer. En substance, ils ont transformé le centre en banlieue. Les endroits où se déroule l’action de mes romans n’ont rien d’anodin. Ils incarnent là où vivent mes personnages. L’environnement affecte leurs choix, limite leurs possibilités.

La société que tu décris est tellement violente, physiquement et psychologiquement. Billy, ou Stewart dans Paria, sont incapables de maîtriser leur propre violence. Parce qu’elle est inhérente à la société américaine ?

Dans un tel pays, avec des opportunités limitées et peu de voies à suivre, la violence devient souvent endémique. La violence contre les femmes, contre les gens de couleur, contre ceux qui sont gays, ou intelligents. Aujourd’hui, on peut la qualifier de masculinité toxique, de racisme, de misogynie, d’homophobie. La société américaine est violente. On est arrivés, et on s’est mis d’entrée à massacrer les populations autochtones. On a brûlé les femmes qu’on a prétendu être des sorcières. Pendu des gens uniquement parce qu’ils avaient la peau sombre. Dans le passé, notre gouvernement a distribué des couvertures infectées par la variole aux peuples indigènes – notre premier usage d’un virus utilisé comme une arme. Il suffit de regarder notre politique étrangère aujourd’hui. Combien de milliers de personnes avons-nous tuées, laissées sans abri, transformées en réfugiés, tout en prétendant faire un monde plus sûr au nom de la liberté ? On a honoré dernièrement un général qui vient de mourir, malgré le fait qu’il ait dissimulé un massacre survenu au Vietnam, fait des déclarations contre l’intégration des gays dans l’armée, menti délibérément aux Américains au sujet des armes de destruction massive en Iraq, dont le résultat a été une guerre injustifiable qui a fait des milliers de morts et de sans-abri au Moyen-Orient, et cause toujours des ravages de nos jours.

Le rêve américain est-il un mythe ?

Dans une société fondée sur la violence, où la violence est présentée comme une bonne chose, une société où on célèbre le largage de bombes atomiques au lieu de déplorer leur usage, où les gens regardent les frappes de drones aux infos et applaudissent comme s’ils appréciaient un divertissement violent sorti d’un jeu vidéo – comment ne pas s’attendre à ce que les gens aient recours à la violence à un niveau personnel ? C’est autant Américain que la tarte aux pommes. Le mythe américain ? Il n’existe pas. On a été contaminés par le virus du capitalisme. Il insuffle sa philosophie chez presque tout le monde, sournoisement. On ne réfléchit pas à comment on en est arrivés à régresser au point que toutes nos relations personnelles sont devenues commerciales. Il y a quelques années, un des autocollants les plus populaires était ‘Celui qui meurt avec le plus de jouets a gagné’. C’est ça, notre mythe.

La société est d’autant plus violente envers les femmes. Dans tes romans, elles sont battues par leurs amants, victimes de viols. Il y a un passage, dans Paria, où tu expliques combien Stewart, comme presque tous les hommes dans les 60’s, sont ignares en matière de sexualité. Il pense affirmer sa masculinité en étant brutal et que les femmes aiment être rudoyées. Penses-tu que la jeune génération s’améliore ?

Aussi récemment que dans les 60’s, une pub montrait des hommes donnant la fessée à des femmes pour qu’elles leur fassent une meilleure tasse de café. J’ai quitté un poste de metteur en scène, en 1986, parce que la troupe de théâtre voulait que je dirige une pièce, un classique, où on giflait une femme pour ‘lui mettre un peu de plomb dans la tête’. Je me suis impliqué auprès de l’association de défense des femmes victimes de violence Women’s Center and Shelter, quand j’habitais Pittsburgh. J’ai plein d’amies qui ont été victimes de violence, physique et sexuelle. Ma maison d’édition de poésie, Jacar Press, a financé des ateliers gratuits pour les femmes victimes de viol. J’ai enseigné dans des ateliers à destination d’enfants et d’adultes maltraités, et aussi à destination d’agresseurs. Alors, il se peut que je manque d’objectivité, mais je ne constate pas d’amélioration de la situation dans ce pays.
Je pense que les hommes sont plus conscients qu’avant qu’ils peuvent être jugés selon leurs actions envers les femmes. Certains jeunes hommes préfèrent quitter leur amie, plutôt que d’avoir à travailler sur leur violence, ce qui, je suppose, est mieux que rien. Mais j’ai l’impression que les jeunes sont plus sensibles à ce sujet que les générations précédentes. Les jeunes femmes sont plus disposées à prendre la parole. Je crois que l’acceptation croissante d’une variété de modes de vie chez les jeunes contribue à faire baisser la violence. Mais ça demeure un sujet majeur aux Etats-Unis.

La société est également violente envers les minorités. Dans Paria, on assiste à un déferlement de haine raciale, des lynchages. Le racisme est-il toujours aussi fort ? Est-ce qu’un mouvement comme Black Lives Matter changent les choses ?

Je ne pense pas qu’on soit, d’une manière générale, moins violents qu’avant envers ceux qu’on considère comme étant ‘les autres’. On le cache juste mieux. Je suis optimiste quant au fait que les groupes communautaires comme Black Lives Matter puissent conduire à un changement progressif de la base vers le haut. Mais je suis inquiet quand je vois le soutien grandissant apporté à l’armée et aux renseignements par les responsables de la gauche officielle qui auraient auparavant remis en question ces actions. Disons que je suis un pessimiste romantique.

La société est surtout violente envers ses enfants. Tous tes personnages sont cabossés à cause de parents déficients, incapables de leur donner de l’amour à cause de leur immaturité ou de leur ignorance. On souffre beaucoup pour Billy ou Dandy. La pureté originelle est-elle toujours corrompue par les adultes ?

On entend souvent le proverbe, ‘il faut un village pour élever un enfant’. Et on répète cette phrase avec à l’idée, uniquement, qu’on élève un enfant pour qu’il devienne bon et gentil. Mais il faut aussi tout un village pour élever un violeur, un raciste, un meurtrier. Les gens deviennent ce qu’ils sont au travers un mélange de leur ADN et des expériences qu’ils font dans la vie.
Hitler, Trump, Vacher ont tous été des bébés incapables de haine. Ils sont nés capables d’aimer. Comment sont-ils devenus ce qu’ils sont devenus ? ça commence avec la question de la parentalité. Comment apprend-on à s’occuper d’un enfant ? Certains naissent chanceux, dans des familles qui prennent soin d’eux. D’autres naissent de parents qui en sont incapables, qui doivent souvent gérer leurs propres peurs et angoisses, dans d’extrêmes difficultés financières. Le résultat peut donner des enfants aussi abîmés que ceux qui sont maltraités. Qui sait pourquoi telle personne peut supporter, surmonter ces écueils, et telle autre non. Parfois, un parent potentiellement bon peut devenir violent, malveillant, en raison de soucis économiques, ou d’une maladie non traitée. Des choses peuvent arriver sur lesquelles on n’a aucun contrôle. Un homme avec lequel j’ai travaillé et qui a été exécuté pour meurtre était en fait un marginal plein de créativité qui avait été pris en train d’espionner par une fenêtre et envoyé en prison où il a été violé en réunion tous les jours pendant un an. Est-ce que c’est si extraordinaire que la prison ait fait de lui un homme capable de meurtre ?

Tu écris aussi de la poésie. La fiction et la poésie impliquent-elles des formes de sensibilité différentes ?

J’ai eu la chance de publier un large éventail d’écrits – romans, essais, poèmes, pièces, oeuvres non fictionnelles, journalisme d’investigation. Chacune de ces formes répond à des besoins et approches intrinsèques. Chacune a besoin d’un temps spécifique. Je peux rédiger une ébauche de poème un matin, la laisser reposer et y retourner le jour, la semaine ou le mois d’après. Quand j’écris un roman, j’ai vraiment besoin de vivre avec dans ma tête de façon constante, des fois pendant des années. Le confinement dû au covid a été parfait pour moi, il a remis mon agenda à zéro. J’ai littéralement perdu tous mes boulots, je ne pouvais aller nulle part, voir personne, alors mon temps n’a été consacré qu’à moi-même et j’ai écrit et lu plus en deux ans que je ne l’avais fait au cours des dix années précédentes. J’ai terminé un roman, Les paralysés, et j’en ai presque fini un autre, Damage.

paralysés

Peut-on avoir plus de détails à leur sujet ?

Mon prochain roman, Les paralysés, dont la sortie est prévue en 2022 est, – on en revient à la question de l’urbanisme -, construit autour d’un projet immobilier. Il se passe dans un ensemble de logements labyrinthique, tentaculaire, entouré d’un marais toxique et d’un dépotoir, avec une usine désaffectée à l’entrée. Les gens qui vivent là sont pris au piège. Ils n’ont aucun moyen de sortir. Personne ne vient à leur secours, à part les prédateurs. Ils sont abandonnés à leur sort, obligés de se manger les uns les autres, de se battre pour trouver quelque chose – l’amour, peut-être ? L’espoir ? Le suivant, Damage, – et ce titre pourrait bien pointer le thème principal de tous mes écrits – parle des dommages dont on est témoin, ou victime, qu’on commet, qu’on surmonte, ou pas. Il parle de notre volonté de vivre en dépit de tout.

Interview publiée dans New Noise n°60 – janvier-février 2022

Richard Krawiec (english version)

photo Anne-Marie Lafleur                                  Photo : Anne-Marie Lafleur
In 2013, Les éditions Tusitala decided to publish Dandy, twenty-seven years after its original release in the USA. Were you surprised by the interest they showed in your novel after all this time?

When Tusitala contacted me to publish Dandy I was surprised.  I had pretty much given up hope that I would be able to continue my work as a novelist. Not because I didn’t believe in my work, but because the U.S. publishing industry had been turned over to the Sales Departments who looked at books only as products to be sold, and so focused on audience demographic appeals, not what the books were about.

Since then, Vulnérables and Paria have been published in 2017 and 2020 by Tusitala, (whereas they are still unpublished in the USA), and your three novels have come out in paperback. How do you explain the success you have in France? On the contrary, do you know why it is difficult for you to find a publisher in your country?

What became apparent to me with first Dandy, then Vulnerables and Paria, all published by Tusitala, is that readers and reviewers in France were, in general, more thoughtful and contemplative.  They understood not only the story, but the philosophical, sociological, cultural and psychological underpinnings of a story. They liked complex characters. Too often in the U.S. the emphasis in fiction, among writers, readers, and publishers, is primarily on plot, and because of that we want simple two-dimensional heroes and villains who can fit into a 90 minute movie. Because that’s what the American publishing industry is to a large extent interested in, film properties, not literature. There are, of course, exceptions to this. But in the U.S. too often we want simple good and bad characters, with no nuance.
When I was sending Vulnerables (as At the Mercy) around to publishers in the U.S. I received rejections from Senior Editors at NY  publishing houses, who praised the writing but found it disturbing.  One called it the greatest first person novel since Camus’ The Stranger, but then went on to say they couldn’t publish it because the Sales Department didn’t see a demographic.  I had one of those ‘super agents’ at the time who thought my novel would go out on auction and bring in a 6-figure, possibly 7 figure, offer.  He couldn’t sell the book and was stunned.

Have you completely abandoned the idea of convincing the Americans ?

During that period a couple things happened that also influenced my temporary turn from trying to publish. My first two children were born. I became deeply involved in running a non-profit that taught writing at homeless shelters, women’s shelters, drug programs, ESL classes, housing projects, prisons (including Death Row). And the woman I was married to at the time had mental health issues which led to my becoming a single parent for two young children and an adult.  Despite the fact Dandy (as Time Sharing) had garnered critical attention in the NY Times, Publishers Weekly, LA Times, Village Voice, had sold film options to a major Hollywood producer, I was confronted with an indifferent publishing industry where Sales Departments had usurped editorial decisions and now had final say over what books were published. I kept writing but decided to withdraw from the publishing scene in the U.S. With the thoughtful attention I’ve received in France I haven’t felt a need to put any time or effort into publishing in English. I suppose I should.  But I’d rather spend that time writing than attempting to wrestle with the American publishing industry.

You seem to be like Bukowski, SaFranko, Stokoe, Fante or Roberge, more appreciated by the French than the American readers. Do you feel an affinity with these writers?

Once, at a costume party in a bookstore I dressed up as Bukowski – I wore a stained bathrobe, hair disheveled, and swore at those around me. I’m Bukowski I said, what do you expect? I do feel an affinity for Bukowski, and other writers like those you mention. But  among contemporary American writers I feel a greater affinity towards early Robert Stone, Richard Price, Raymond Carver, Nick Flynn. Writers whose characters are anti-heroes, complex and damaged trying to navigate through a corrupted world where there often are no clear ways forward.

dandy vulnérables paria

Billy, in Vulnérables, reads Albert Camus. What did you want to express through this particular reading?

Billy is a little like Meursault.  He has experienced a traumatic event which results in his committing an extreme act of violence, although Meursault’s seems on the surface more arbitrary.  Neither one fits in their society, neither one ‘plays the game’ as Camus put it.  I also thought the point of having Billy read that book, or reading at all, was to show people are capable of far greater intellectual engagement than we give them credit for.  When I teach in prisons, the insight the women and men have into works of literature is often highly sophisticated, much more so than my university students. They focus on the characters, the situations, not the prose techniques. I once met a man from Cuba in a homeless shelter who had appeared on a radio program with Neruda. One of the greatest poets I’ve ever read was in a shelter, a woman from New Zealand writing about the Maoris. Unfortunately, she got trapped in the crack whirlpool and could not swim out.

Your novels talk about people who struggle to make a living, who feel rejected, left out. Do you want to give voice to those who are unheard?

I grew up one street over from the projects – where my next novel,  Les Paralysés  is set, by the way.  From a young age, I saw the way some people were treated like they didn’t exist, like their voices didn’t matter.  I was treated that way.  I did want to give voice to those who were silenced directly, or by indifference.  I experienced class prejudice my whole life – the son of a Polack and an Irish woman, the first one in my family to go to college. I remember one leftist ‘scholar’ stopping me in the corridors of the university one day to scold, « You’re in college now, time to lose your working class accent ».

Do you consider you write social, political novels?

I think my novels include social and political arguments, but they develop out of the lives of the people I write about, people who are struggling to survive in all ways – physically, emotionally, psychologically, economically – often without any clue how they are to attempt that. They are thwarted by the families and systems they are randomly born into. But I always begin when I ‘see’ a character in some setting, dealing with some conflict, or hear them speak, and I am curious to find out what they are going to do next. Through their human stories, the social and political are revealed.

The stories of Dandy and Vulnérables take place in the late 1980’s, when unbridled capitalism was advocated by Reagan. Do you think, as Larry Fondation wrote in the French preface of Dandy, that poverty, disparities have increased, that everything has even gotten worse since? Do you think Biden will be a better president for the poor than Trump?

Yes, I do think everything has gotten worse in this country. I don’t see it getting any better. Absolutely, trump was a disaster. But Biden seems clueless – look at his immigration fiasco.  Hundreds of thousands of refugees hidden away in warehouses, crammed shoulder to shoulder in sleeping cells. Thousands of Haitians deported to a country rife with physical and economic violence. Children sexually abused at detention centers. The press is denied the right to access these facilities and see what’s going on inside, talk to the refugees. During our entire covid crisis people in poor neighborhoods have been left out – no testing or vaccination facilities in their communities, poor medical care – while the needs of the upper middle class white population and corporations have been addressed. So, no, I see little hope today, or for the future frankly. Worse, the true potential tragedy is this  – the more Biden struggles it sets up the very real possibility that trump could run and get elected again. The failure of one side always leads to the success of the other because in the U.S. we ‘think’ things through in a simplistic binary way.

Your website biographical presentation says that : « his writing is informed by his personal experiences. He grew up in the depressed, working class city of Brockton, Massachusetts, and his many jobs include assembly line worker, dishwasher, newspaper delivery person, truck driver, fast food and short order cook, cabbie, waiter and teacher. » You knew the same difficult living conditions as your characters. Do you think an author writes well on what he knows well?

Everyone always advises – write what you know.  And that’s true.  But the danger in that is to write simply personal reflections.  Writing only about what you have experienced offers a limited vision of the world. It is important to write about what you have learned through your personal experiences and feelings.  But it is equally important to write about what you have learned through witnessing the lives of others. It’s important to pay attention to all the people you have met along your journey of life, even those you dislike, to try and understand what has happened to them, why, how it has affected their interior lives and how it manifests itself in their interactions with others. Don’t writers have to try to understand the forces that go into forming every human being. Yes, we can only fail at this, but it’s important to try. As Louise Erdrich said, « None of us is wise enough to understand the heart of another, but it is our duty in life to try. »

So yes, know one’s self.  But also know others. In addition, research research research research research. Always be eager to learn. The last element that is essential to a writer, the one most overlooked these days, is imagination.  A writer’s imagination should be valued as much as a writer’s experience.  Some years back The New Yorker published a long piece on the dialogue of Richard Price and the author of the piece made an important point.  Often we talk about how some writers have a ‘good ear’ for dialogue, meaning they can listen to others and report speech nuances accurately.  But this piece in The New Yorker spoke about Price having a ‘good imagination’ for dialogue, the ability to render dialogue that sounded true to a character while also bearing thematic weight.

The reader feels a great empathy for your characters, (I think about Artie and Jolene, or Billy) even if they are not exempt from meanness. You avoid any kind of naive optimism or Manichaeism to portray them. They can be liars, calculating, violent but they judge themselves more harshly than we do. Have you put a lot of yourself in a character like Billy, for instance?

There is a part of me in every character I’ve written, every single one.  On the other side, none of the characters I’ve written is really that close to being me.  The real me.  Whatever that means.  I began my writing journey wanting to give dignity to people I saw in my daily live, people I knew who were ignored, erased from society as if they did not exist. But I did not want anyone to pity them. I wanted people to love them, and to do so despite their human failings, their imperfections, to recognize the shared humanity that binds us all. That has made my fiction difficult for many in the U.S. One woman said to me, after reading Dandy, « I know there are poor people, but I don’t want to have to look at them. »  It’s easy to condemn or pity a character. To do either allows the reader to keep the character at arm’s length, to treat them as ‘other, not me’. I want to bring the reader into the same existential room with my characters, I want them to sit down and have a conversation as it were.

The environment where your characters live is very important in your novels. Do you think that town-planning has an influence on people’s life?

Town planning – you hit on something important there.  Yes, planning conditions how people in a community think about themselves and others.  The city I live in now, Durham, NC  used to have a thriving African-American middle class, a merchant district, Hayti, which was a center of the community. I first lived in East Durham, which was rife with poverty, after the city destroyed Hayti. The city planners, under the guise of improving the city for all, built a loop road around the city center, closed down the Hayti district, and moved the African-American merchants out to a strip of tin shacks – temporarily they said.  Of course it wasn’t temporary. It was an attempt to destroy those businesses, and the power that came with a thriving middle class community. The real purpose of the loop road was to attempt to remove people of color from the downtown area, to prevent African-Americans easy access to downtown, so developers could build projects to attract more ‘white people’ downtown.  They engaged in similar behavior in Raleigh, implementing changes to a thriving city center full of poor and working class people. They were the ‘wrong kind’ of people for the developers.  So they closed stores, removed benches from parks the homeless slept on, forced services out of the center to remote areas of the city – planned changes designed  to remove poor, working class and people of color from the downtown area so they could ‘revitalize it’ by encouraging white, suburbanites to move in.  In essence, make it look like a suburb.
The settings of my novels are not incidental.  They are where my characters live. The environment affects one’s choices, limits one’s possibilities.

photo Sylvia Freemanphoto : Sylvia Freeman

The society you depict is so violent, physically and psychologically. Billy, or Stewart in Paria, are unable to manage their own violence. Because violence is inherent in american society?

In such a place, with limited opportunities or paths forward, violence often becomes endemic.  Violence against women, against people of color, against those who are gay, or intelligent. Today we might refer to it as toxic masculinity, racism, misogyny, homophobia.  U.S. society is violent – we came here and immediately began to slaughter the tribal people. We burned women we pretended were witches.  Hung people merely because their skin was brown. Our government in the past gave blankets infested with smallpox to tribal people – our first use of a weaponized virus.  Look at our foreign policy today?  How many millions have we killed, left homeless, turned into refugees, while pretending we are making the world safe for freedom? We just celebrated and honored a general who died, despite the fact that general covered up a massacre in Vietnam, spoke against allowing gays into the military, and deliberately lied to the American public about WMDs in Iraq, which resulted in an unjustified war that left literally millions dead or without homes in the Middle East, and is still causing destruction today.

Is the american dream a myth?

In a society based on violence, where violence is presented as good, a society where we celebrated the dropping of atomic bombs, instead of mourning their usage, where people watch drone strikes on the news and applaud as if they are enjoying violent entertainment in a video game – how can people not be expected to resort to violence on a personal level? It is as American as apple pie. The American myth? There is none. We have been infected with the virus of capitalism, it enacts its philosophies in almost all our people without being noticed.  We don’t even think about how everything has devolved to a series of personal transactional relationships. A few years back one of the most popular bumper stickers was, He Who Dies With the Most Toys Wins. That’s our myth.

Society is even more violent towards women. They are beaten by their lovers and are victims of sexual assaults. There is a passage in Paria where you describe how Stewart, like most men during the 60’s, is uneducated in matters of sexuality. He thinks he has to be brutal to affirm his masculinity and that girls love roughness. Do you think the younger generation of men is improving?

As recently as the 1960s advertising showed men spanking women to get them to make a better cup of coffee.  I resigned from directing a play in 1986 because the theater group wanted me to direct a classic play where a woman was slapped across the face to ‘knock some sense into her’. I volunteered for the Women’s Center and Shelter when I lived in Pittsburgh, had many friends who were survivors of violence, physical and sexual, my poetry press, Jacar Press, has sponsored free workshops for survivors of rape.  I’ve taught workshops for children and adults who were abused, and also men who are abusers. So I may be biased, but I don’t see the situation getting better in this country. I think men are more aware that they will be judged for their actions towards women.  Some younger men choose to withdraw from relationships rather than work through it – which I suppose is a healthier choice. But I guess young people in general are more sensitive to this than previous generations. Young women more willing to speak out. I think the growing acceptance of a variety of lifestyles among the young helps lessen the violence. But it’s still a major problem in the U.S.

Society is also violent towards the minorities. In Paria, which happens in the 60’s, there is a wave of racial hatred, lynchings… Do you think racism is still as strong as before in the USA? Is the Black Lives Matter movement changing things?

I don’t think we are in general less violent towards those we see as ‘other’. We just hide it better. Still, I am a Romantic Pessimist. I am optimistic that community-based groups like Black Lives Matter can lead to incremental change from the bottom up.  But I am concerned too at the growing support for military and intelligence systems and actions by those on the mainstream left who previously would have questioned those systems.

Society is above all violent towards its children. All your characters are misfits because their parents were not up to it, they failed in giving them love or because of their immaturity or their ignorance. We are suffering for Dandy or Billy so much. Do you think that the original purity is always corrupted by the adults?

We often hear the phrase, It takes a village to raise a child. We parrot that as if we are speaking only about raising children to be good and kind.  But it also takes a village to raise a rapist, a racist, a murderer. People become who they are through a cauldron of dna and life experiences. Hitler, Trump, Vacher were all born babies who didn’t hate; they were born capable of loving.  How did they become who they became?  Yes, it begins with parenting – how does anyone know how to parent?  Some people are born lucky, into families that care and nurture their children.  Some are born to people who are clueless, often dealing with their own fears and anxieties and extreme economic distress. Some children can be damaged as much by that as by abuse. Who knows why one person can endure and overcome and another can’t? Sometimes a potentially good parent can be turned violent, mean, by economic stress, or untreated illness. Then there are things that happen one has no control over. One man I worked with who was executed for murder was actually a creative misfit who was caught peeping into a window and sent to prison where he was brutally gang-raped every day for over a year.  Is it any wonder he came out of prison a man capable of murder?

You also write poetry. Do fiction and poetry involve completely different forms of sensibility?

I’ve been fortunate to have published a wide range of writing – novels, stories, essays, poems, plays, creative non-fiction, investigative journalism.  Each form has its own literary needs and approaches. As well as time requirements.  I can sit and write a draft of a poem in 1 morning, set it aside and either return to it the next day, week, or month.  When writing a novel I really need to live with it in my head constantly, sometimes for years. The lockdown for covid was perfect for me because it wiped clean my calendar. I literally lost all my work, couldn’t go anywhere, see anyone, so my time was fully my own and I wrote, and read, more in 2 years than I had in the previous10.  I finished one novel, Les Paralysés, and am close to completing another, Damage.

paralysés

Can you give us details about them?

My next novel, scheduled for 2022 release, Les Paralysés, is set in a housing project. It features a cast of women, men, children all trying to overcome the society and culture and entrapment of their lives, trying to find some way to achieve happiness, against the odds of the limitations of their lives and experiences, despite the society and environment and personal relationships, which impose limitations on their possibilities. The setting is a sprawling mazelike housing project, closed in by a toxic swamp and a rubbish dump, an empty factory standing at the entrance. The people who live there are trapped. They have no way out. No is coming in to help, except for the predators.They are left to fend for themselves, to feed on one another, to fight and scrabble to find something – love maybe? hope? And Damage – that latter title might point to my main theme in all the writing I do – is about the damage we witness, receive, perpetrate, overcome, or don’t. Our struggle to live despite.

Interview published in New Noise n°60 – January-february 2022

La nuit tombée sur nos âmes de Frédéric Paulin

nuit

Gênes, juillet 2001. Sommet du G8. Tandis que les dirigeants du monde capitaliste sont réunis dans une zone rouge, forteresse imprenable, 500 000 manifestants altermondialistes sont attendus pour clamer leur opposition à un avenir forcément néo-libéral. Ils sont jeunes, venus de toute l’Europe, nombreux, en colère. Parmi cette foule composée d’individus aux motivations diverses se trouvent Wag et Nat. Incarnation des dissensions à l’œuvre au sein du mouvement alter, le couple est fragile. Nat est anar, proche du black bloc, prête à en découdre. Wag, ex LCR, se pense plus pacifiste sans pour autant juger toute forme de violence inutile. Les différentes factions de l’ultra gauche sont toujours promptes à désigner l’ennemi de l’intérieur. Wag est surtout une balance auprès des flics dont deux représentants se sont justement invités aux festivités et ne le lâchent pas.

En face, pas de tergiversations. Berlusconi et ses alliés néofascistes sont prêts à tirer dans le tas. Les débordements lors de précédents sommets leur donnent toute latitude pour montrer leurs muscles et lâcher leurs flics, trop heureux de casser du rouge. Le premier mort, abattu d’un tir dans le dos, provoque le chaos.

En immersion totale dans les rangs des manifestants, avec en bande-son Rage Against the machine, les cris et les rafales, le lecteur subit de plein fouet la répression terrible subie par la foule. L’effroi surgit à chaque coin de rue tandis que les forces de l’ordre prennent en tenaille des jeunes plus souvent terrorisés que formés au combat, incapables de résister. Vitrines brisées, voitures incendiées contre rafles, emprisonnements aléatoires, interrogatoires musclés, tortures. Sans manichéisme, à l’aide de personnages pris dans le chaos des deux côtés, Paulin fait sentir la rage, la montée de la haine et l’inéluctable horreur de ces jours sombres. En mêlant la réalité brutale des faits aux questionnements d’individus fictifs mais vraiment incarnés, son récit prend toute sa puissance et donne envie soit de s’armer soit de pleurer. Dans ce monde pré-11 septembre, les rêves étaient déjà en voie d’extinction et le futur, sinistre, semblait déjà écrit.

La Nuit tombée sur nos âmes / Frédéric Paulin. Agullo, (Agullo noir), 2021

Adieu poulet de Raf Vallet

adieu

Le commissaire Verjeat, dont les méthodes à la limite de la légalité en agacent plus d’un mais dont les résultats sont indéniables, se voit accusé d’avoir touché des pots-de-vin par la tenancière d’une maison de passe. C’est vrai qu’il a accepté des cadeaux de la dame en échange de services, mais tout le monde fait ça, non ? Ce n’est pas l’avis du juge d’instruction en charge de l’affaire, bien décidé à poursuivre Verjeat. Lâché par sa hiérarchie, ce dernier refuse de servir d’exemple. On lui demande de partir ? Ok, il va partir, mais au soleil, avec de l’oseille, et non sans avoir d’abord balancé tout ce qu’il sait sur certains, nombreux, qui ne respectent pas non plus les règles.

Pour choper les vrais méchants, il faut connaître le milieu dans lequel ils évoluent et faire copain copain avec les petits truands, les petites frappes qui nagent dans leur sillage, en faire des indics, leur graisser la patte. Verjeat a toujours usé de cette tactique et ça lui a réussi. Aussi, quand des hypocrites se mettent en travers de sa route, sa vengeance a de quoi réjouir. Parce que l’auteur ne s’embarrasse pas de demi-mesures et fait pencher le lecteur en faveur de son flic. S’il n’est pas incorruptible, sa probité s’avère nettement au-dessus de celle de ses accusateurs, politicards véreux, entrepreneurs sans scrupule, trafiquants de haut vol.

La France des 70’s n’a rien à envier, niveau corruption et coups tordus, à notre modernité et le propos demeure tristement d’actualité. Reste que la peinture du monde d’avant (avant les téléphones portables, internet, avant l’interdiction de fumer dans les bars et d’y draguer les femmes) donne, sans le vouloir, un côté nostalgique à l’ensemble et contribue au plaisir de lecture, décuplé par les répliques cinglantes du poulet en colère et son utilisation d’un argot joyeusement désuet.

Adieu poulet / Raf Vallet. Gallimard (Série noire), 2022