True grit de Charles Portis

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Mattie Ross a la rage. Son père a été abattu par le démoniaque Tom Chaney, avec lequel il se rendait à la ville voisine acheter des chevaux. Chaney l’a tué froidement pour quelques pièces d’or et s’est réfugié en territoire indien. Mattie n’a que quatorze ans mais est résolue à venger ce crime odieux. Elle embauche pour cela Rooster Cogburn, un U.S. Marshal à la réputation de dur à cuire, un homme de cran (true grit) malgré le fait qu’il soit borgne, plus tout jeune et porté sur la boisson. A leur duo s’agrège LaBoeuf, Texas Ranger de son état, déjà à la poursuite du fuyard pour une autre affaire et qui ne voudrait pas voir la prime lui passer sous le nez.

Roman devenu culte dès sa sortie en 1968, porté à l’écran en 69 par Henry Hathaway puis par les frères Coen en 2011, True Grit est un western dans la plus pure tradition. Chevauchées dans les vastes prairies du far west américain, pétoires démesurées et tireurs d’élite à la morale trouble, pendaisons en place publique, indiens revêches, whisky par tonneaux, les éléments qui constituent le décor ne dépayseront que ceux qui n’ont pas biberonné au genre dans leurs jeunes années.

Reste que le traitement apporté par Portis aux clichés fort justement disséminés dans son récit diffère de nos souvenirs dominicaux. Si les gentils et les méchants sont clairement identifiés, les fourbes ici ne sont pas les autochtones comme dans les films de John Wayne, et les descriptions quasi naturalistes des conditions de vie à l’époque éloignent d’une vision naïve, édulcorée quoiqu’héroïque, des cow boys au grand cœur et des shérifs téméraires. Car l’histoire est portée par un personnage absent habituellement de ce type de récit. C’est une femme qui raconte, et c’est par elle qu’avance la narration, loin de la sempiternelle pépée qui reçoit des fessées bien méritées tellement drôles de la part du rustaud qu’elle prétend ne pas aimer mais qui finalement sait faire taire ses caprices.

Mattie est à l’opposé des poncifs ordinaires. Elle n’est même pas une femme, pas encore. C’est une très jeune fille, au caractère bien trempé, à l’audace poignante et à l’honnêteté indéfectible. Elle pose sur les drames et péripéties qu’elle subit un regard très juste, non exempt d’une certaine candeur. Son intelligence est fine, son verbe mordant. Elle parvient, par les mots et son entêtement, à gagner sa place dans ce trio incongru, devenant le moteur d’un humour ravageur qui parcourt les dialogues, signe d’une éducation dont les deux autres manquent. Révoltée, elle se refuse à tout auto-apitoiement, est capable de déplacer des montagnes (ici deux fortes-têtes dont les intérêts sont divergents) et s’étonne pourtant de la délicatesse dont certains font preuve quand ils croisent sa route.

Inversant les rôles, c’est en sa présence que ses compères grandissent, transformés par l’intégrité de cette gosse rebelle, capables soudain de tendresse, désormais aptes à la rédemption.

True grit, de Charles Portis
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos
Gallmeister (Totem), 2022

Merci Nyctalopes !

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« On suit Marianne Peyronnet depuis longtemps. Ses chroniques sur son blog Black roses for me, ses entretiens pour le magazine New Noise réunies dans Bruit noir comme dans ses débuts de romancière avec Vergne Kevin. Très éloigné de son premier opus, Le mur voit Marianne Peyronnet se lancer dans la très à la mode dystopie, loin des territoires connus de Nyctalopes…

« Nous sommes l’utopie. Chacun une cellule du corps parfait de la Matrie. Chacun utile à son bon fonctionnement, indispensable par notre nombre et notre dévouement. Chacun à notre place, œuvrons à l’équilibre. Nous sommes l’écologie. Nous sommes la nature. Nous n’abusons pas de ses richesses. Nous sommes la sobriété. Notre vie ne compte que comme partie du tout. Nous en faisons don à l’ensemble, de notre premier cri à notre dernier soupir. »

Le jeune soldat au service de la Matrie répondant au nom d’Alb 3, troisième fils d’Alba Irina Viga Luane, est très fier de se voir affecté au Mur en tant que sentinelle. Il défendra le territoire des Matrides contre les assauts des Bêtes.

Avec soulagement, le futur imaginé est aisément assimilable. Une société qui se veut égalitaire mais n’est rien d’autre que totalitaire, fonctionnant sur l’instauration d’un climat de peur dans les populations afin de mieux les soumettre sous une bannière matriarcale. On est à peine dans la SF, on peut aisément imaginer la symbolique sous-jacente.

Alb3 est l’exemple type d’éducation, d’embrigadement, d’asservissement, d’endoctrinement parfaitement réussis. Il connaît son rôle, qu’il va remplir du mieux qu’il pourra en combattant les Bêtes. “Allons zenfants de la Matrie !” Mais l’apprentissage sera long. Pour ce jeune naïf de 16 ans, après l’excitation des débuts viendront les temps des interrogations, des questions, du doute, des révélations, de l’insoumission et de la rébellion. Le rythme de la première partie peut avantageusement suggérer Le désert des Tartares de Dino Buzzati.

La vérité qui un jour va s’offrir aux yeux d’Alb3 sera le fruit d’une rencontre et Marianne Peyronnet nous offre ici une belle variante de Les animaux dénaturés de Vercors, lançant un sujet de réflexion qu’on aurait aimé encore plus développé. Ces 200 pages s’avèrent finalement bien trop courtes, on aurait aimé lire encore… l’apparition de la tendresse, de l’amour, cette belle humanité qui se dégageait du roman et qui, joliment, explosait à la fin… On espère une suite rapide.

Rock on Marianne ! »

Clete.