Rock & Politique : l’impossible cohabitation de Julien Demets

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Il est des associations contre-nature. Quand on imagine le rapprochement entre le rock et la politique, on pense immanquablement à des échanges pas nets, des calculs d’intérêt mêlant le milieu du showbiz et les politiciens, à des Mireilles qui braillent en invoquant des colombes, à des baissages de culottes, bref, au mariage de la caille et du poney. Mais, pas d’emballement, la politique, ça n’est pas toujours sale, et ça dépend de ce qu’on entend par politique. Julien Demets fait justement le tour de la question, dans ce petit bouquin clair et argumenté, étayé de nombreux exemples et anecdotes.

I – Le rock est politique par essence. Né au début des 50’s dans la « Bible Belt », ou ceinture biblique, ces Etats du Sud sécessionnistes, à une époque où le système ségrégationniste est encore très présent, le rock puise ses racines dans la musique noire. Quand Elvis rencontre le succès que l’on sait, et même si ce succès n’aurait pas pu être aussi phénoménal s’il avait été noir, il contribue à faire connaître certains de ses prédécesseurs blacks, et à gommer la distinction de la race. Son jeu de scène, explicite, heurte les pudibonds et plaît aux jeunes. Sans être engagé, Elvis est un acteur majeur de la vie sociale, et sera le premier d’une longue liste de rockers qui contribueront à l’émancipation sexuelle de la deuxième moitié du XXème siècle. Le rock devient la nouvelle religion, une religion du plaisir et de la consommation après les privations de la seconde guerre mondiale, une religion adoptée par les jeunes uniquement, incarnant, pour la première fois, un fossé entre les générations. Le rock s’adresse aux jeunes, parle des jeunes et de leur mal être, crée une culture Jeune et libératrice.

II – Le rock engagé, un leurre ? Le rock est le parti de la jeunesse, mais être jeune n’est pas un positionnement politique. Clapton soutenant Enoch Powell, candidat du National Front, Ian Curtis votant pour Margaret Thatcher, ou Johnny Ramones proférant des idées néo-fascistes, ne les exclut pas pour autant du statut de rockers. Le rock ne préconise aucun changement, son seul ennemi est l’ennui, tout au plus célèbre-t-il l’émancipation individuelle. C’est une musique frivole, très éloignée de l’exigence intellectuelle d’un engagement véritable. Et le rocker aurait-il un message à faire passer, la puissance sonore de son art en altèrerait sa portée. Ce qui ne l’empêche pas, parfois, de vouloir nous le délivrer quand même. Mais Julien Demets nous rappelle que la mobilisation rock contre la guerre du Vietnam, symbole de rébellion par excellence, avec ses protest songs, n’apparaît qu’en 1968-70, trois ans après le début du conflit. Elle est, de ce fait, une illusion. Etre pacifiste est ce qui apparaît contestataire à l’époque et le rock s’y engouffre. C’est, encore une fois, une simple prise de position générationnelle.

III – Le rocker est-il soluble dans le politicien ? Aux grandes causes, les grands concerts, et les petites idées. Qui ne se souvient pas de ces grands-messes de Charity Rock des années 80 ? Les Band Aid, les « We are the World » ? Le rocker, quand il s’engage, choisit des causes facilement identifiables, la pauvreté, l’apartheid, et ne s’attaque pas au système, mais à ses conséquences, dans une prise de conscience instantanée et des textes lénifiants. Pour rassembler, il sert la soupe à un public de moins en moins rock, prêt à payer très cher pour voir le plus de pipole sur la même scène, sous couvert d’assistance aux bébés phoques ou myopathes. Ici saluons Bono pour sa performance. A force de mélange des genres, il continue à convaincre les gens de payer 65 euros pour voir leur idole de dos et ne servir d’autre cause que celle d’engraisser le cochonnet, pardon le Bono. Nous sommes aujourd’hui gouvernés par une génération de politiciens qui, pour la première fois, a grandi avec le rock. Elle en connaît les codes et sait quel impact le rock a sur les jeunes. Blair et Clinton ont eu, tous les eux, une lune de miel éphémère avec des rockers qui se sont engagés à leur côté, puis ont pris leur distance.

Depuis les années 90, d’autres musiques occupent le terrain de l’opposition. L’électro, le rap, le hip-hop, le R’n’B se partagent le public jeune avec le rock, qui devient donc une subversion relative. C’est nouveau pour ce courant musical. Reste à savoir s’il choisira de grandir, de s’éloigner de sa base originelle, ou s’il s’obstinera à seulement servir de défouloir aux tensions sexuelles, à parler de picole, d’amour ou de rigolade ? Après tout, c’est peut-être juste ce qu’on lui demande.

Rock & Politique : l’impossible cohabitation / Julien Demets. Autour du livre (Les cahiers du rock), 2011

Chronique publiée dans New Noise n°10 – mai-juin 2012

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